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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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PAUL MORAND NOUVELLISTE : DU PORTRAIT À L’HISTOIRE<br />

raconter <strong>de</strong>s anecdotes sur la <strong>langue</strong>, les habitu<strong>de</strong>s et les traditions du pays, en<br />

ajoutant même <strong>de</strong>s commentaires et <strong>de</strong>s jugements personnels. Il semble s’enthousiasmer,<br />

comme son personnage, à la découverte <strong>de</strong>s charmes <strong>de</strong> l’île, quoique<br />

sans jamais perdre son regard critique pour tout ce qui lui semble quelque<br />

peu exagéré dans l’amour <strong>de</strong>s Irlandais pour leur patrie.<br />

Le rapprochement avec le point <strong>de</strong> départ américain se fait <strong>de</strong> plus en plus<br />

évi<strong>de</strong>nt lorsque la fin du récit approche. Les scènes <strong>de</strong> foule et les interventions<br />

chorales reviennent, quoique cette fois-ci leur caractère soit plus théâtral que<br />

cinématographique, et la surprise finale se fait <strong>de</strong> plus en plus prévisible. Le cercle<br />

se ferme lorsque McGovern-O’Shea re<strong>de</strong>vient héros populaire mais réintégré<br />

dans l’univers irlandais qui lui était propre.<br />

Du collage cubiste on passe donc au film et au documentaire touristique pour<br />

revenir finalement à la peinture dans le cas <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> historique. Si dans Le<br />

flagellant <strong>de</strong> Séville Morand avait choisi <strong>de</strong> réutiliser les couleurs <strong>de</strong> la palette <strong>de</strong><br />

Goya pour écrire une partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> son époque, dans «␣ Une noire affaire␣<br />

» il a recours <strong>aux</strong> procédés <strong>de</strong> la peinture espagnole <strong>de</strong>s XVI e et XVII e ␣ siècles<br />

pour peindre la fin <strong>de</strong> Charles␣ V.<br />

Dans «␣ L’Espagne noire 11 ␣ », l’écrivain avait manifesté son intérêt et son admiration<br />

pour les grands maîtres du clair-obscur, la technique la plus représentative<br />

<strong>de</strong> ce jeu <strong>de</strong> lumière et d’ombre qui caractérise à ses yeux l’Espagne. Dans son<br />

texte, les bougies éclairent le visage noirci du moribond, et la <strong>de</strong>scription s’étend<br />

sur <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> pourriture qui rappellent les images <strong>de</strong> décomposition <strong>de</strong>s table<strong>aux</strong><br />

les plus sombres du baroque espagnol, en tant qu’on évoque aussi le tremblement<br />

expressionniste <strong>de</strong> la touche d’un Greco 12 :<br />

Éclairé d’un pic <strong>de</strong> cierges noirs allumés, dont le triangle perçait l’ombre <strong>de</strong> la chambre,<br />

le visage acéré <strong>de</strong> Charles Quint tremblait à la même brise que les petites flammes<br />

qui rendaient la vie à sa figure <strong>de</strong> mourant ; il portait sur la tête un bonnet<br />

d’herbes odorantes, contre les migraines, d’où sortait le poil ru<strong>de</strong> d’une barbe grise,<br />

collée par une <strong>de</strong>rnière sueur (p.␣ 982-983).<br />

Entourant le portrait, les ombres cachent les mouvements <strong>de</strong>s ecclésiastiques<br />

qui conspirent pour contredire la volonté <strong>de</strong> l’Empereur. Finalement, les durs<br />

paysages castillans et la rigi<strong>de</strong> magnificence <strong>de</strong>s cortèges créent le climat <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>rnière scène, où s’affirment le triomphe <strong>de</strong> l’intolérance et la noirceur.<br />

L’utilisation d’éléments pictur<strong>aux</strong> est donc l’élément le plus significatif du point<br />

<strong>de</strong> vue formel dans un récit où l’on retrouve beaucoup moins <strong>de</strong> hardiesse technique<br />

qu’ailleurs. «␣ Une noire affaire␣ » est un texte <strong>de</strong> vieillesse et la question<br />

thématique l’y emporte sur l’expérimentation formelle. <strong>La</strong> juxtaposition <strong>de</strong> scènes<br />

est à nouveau le procédé employé pour la composition, et les dialogues y<br />

sont, plutôt que <strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> propos, <strong>de</strong>s interventions récapitulatives <strong>de</strong>s<br />

événements historiques que l’on veut raconter. Tout dans le texte est con<strong>de</strong>nsé<br />

pour contribuer au tragique.

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