La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

LA NOUVELLE, UNE FORME POÉTIQUE ?
Permettez-moi d’aborder cette question du point de vue, double et indissociable,
de la praticienne et de l’observatrice. Comme poète et nouvelliste d’une part,
comme enseignante et critique d’autre part, je perçois l’alliage, l’alliance et le
«␣ comme␣ » (d’écart et d’analogie) entre ces deux genres littéraires.
LA NOUVELLE COMME POÈME, LA NOUVELLE POÉTIQUE
Comme «␣ jeu de l’indécision volontaire, rupture de toutes les définitions, de
toutes les interprétations. Un comme à double visage, à la fois “écart” et “pour
ainsi dire”, en “quelque sorte”␣ », rappelle l’«␣ Avant-propos␣ » de l’excellent ouvrage
intitulé La poésie comme un langage de Pierre Ceysson et Jacques Imbert 1 . Des
multiples et savantes définitions de la nouvelle, je ne retiendrai que celle concernant
la nouvelle dite poétique, caractérisée, comme la poésie, par un choc émotif,
une vision qui sert de détonateur à l’histoire (pour autant qu’il y ait une
histoire) brève et suggestive, dont les images denses, chargées de correspondances,
la musique, les échos résonneront longtemps, voire infiniment, dans la mémoire
du lecteur, activant son imagination.
Prenons un exemple révélateur : le texte (j’emploie à dessein ce mot neutre)
intitulé «␣ Instant␣ », de Geneviève Serreau. Il m’est venu à l’oreille avant de me
rejoindre par les yeux puisque je l’ai entendu dire par Coline Serreau avant d’acquérir
Ricercare 2 .
Elle pleurait dans mon cou, la tête posée sur mon épaule. Il y avait dehors un oiseau
du matin qui attendait le jour. Quelqu’un de l’autre côté de la cloison remuait dans
ses rêves. Immobile moi, les bras le long du corps, à bout de larmes, de sang, de
songes, terminé le long combat, perdu, et toute cette vie, après, encore, à vivre, God.
Une mésange peut-être, ébouriffée de nuit, petite balle tiède posée au bord du matin.
Quelqu’un rêve qu’il court léger, dans une toile de Boudin, sur la plage de Trouville.
Ses larmes dans mon cou. Humiliés et offensés. Long combat. Perdu. Cet instant en
suspens dans l’air, avec son goût de souvenir ancien : j’étais là tu étais là rappelle-toi
tu me baisais l’épaule tu pleurais dans mon cou.
Les bras le long du corps, droite dans l’air muet, à bout de mots, de songes, et toute
cette vie, encore, qu’il y a, qu’il va falloir, pour finir, vivre, quoi. Virgule noire sur la
plage titubant dans le vent, eau ciel sable, Trouville avec la dame à l’ombrelle blanche.
Ou alors un rouge-gorge qui rêve du jour. Sa tête sur mon épaule, sa bouche nue
qui bouge encore, là dans mon cou mouillé, dit pardon pardon pardon.
Debout immobile, à bout de sang, long combat perdu, rien que cet instant qui tremble
au bord du matin.