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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LES OBJETS DE LA MIMESIS␣ : ENQUÊTE POÉTIQUE SUR LA MORT DE BAJAZET<br />

d’un choix, d’une préférence stoïque (ne pas cé<strong>de</strong>r à la passion, opter pour la<br />

raison), et, ipso facto, la mise en place d’un ethos, la construction et la preuve d’un<br />

caractère héroïque – d’où cette admiration qui s’élève par-<strong>de</strong>là la pitié. Que les<br />

pourfen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> schémas nous pardonnent : d’une pratique poétique forcément<br />

plurielle, nous ne retenons ici que la poétique du choix éthique, qui semble modéliser<br />

une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s développements consacrés au caractère <strong>de</strong> la sultane-mère<br />

dans la première amplification. En trois scènes <strong>de</strong> confrontation (<strong>de</strong>ux<br />

entre la sultane-mère et Floridon, une entre la même et Bajazet), Segrais nous<br />

dépeint le combat explicite <strong>de</strong> la raison et <strong>de</strong> la passion qui se livre dans le cœur<br />

<strong>de</strong> la femme trompée, jusqu’à l’issue stoïque vers la clémence, le pardon et le<br />

pacte du partage.<br />

<strong>La</strong> secon<strong>de</strong> amplification (la secon<strong>de</strong> trahison <strong>de</strong> Bajazet) semble redoubler<br />

inutilement le schéma <strong>de</strong> confiance et <strong>de</strong> déception déjà utilisé : à quoi bon retar<strong>de</strong>r<br />

la vengeance <strong>de</strong> la sultane-mère par cette invraisemblable histoire <strong>de</strong> partage<br />

hebdomadaire ? C’est bien là qu’apparaissent les points négligés dans le travail<br />

<strong>de</strong> l’histoire : après avoir expérimenté un modèle cornélien <strong>de</strong> mimesis éthique,<br />

Segrais va, sur le même canevas dramatique, centrer son art sur la représentation<br />

<strong>de</strong> la passion.<br />

Jalousie, colère et désespoir remplissent en effet les pages du texte consacrées à<br />

ce <strong>de</strong>rnier mouvement <strong>de</strong> l’histoire. Du côté <strong>de</strong> l’action, un repli apparaît même<br />

(ellipse <strong>de</strong> la narration concernant la renaissance du soupçon et les raisons <strong>de</strong><br />

l’infraction), accompagné d’une surcharge ornementale romanesque (ekphrasis<br />

<strong>de</strong> l’accueil triomphal accordé à Bajazet au palais <strong>de</strong> Floridon, déguisement <strong>de</strong> la<br />

sultane-mère et course-poursuite en bateau). Deux pages pour l’action, trois pages<br />

pour la peinture <strong>de</strong> la douleur : ce n’est plus ici le combat <strong>de</strong> la passion et <strong>de</strong><br />

la raison, mais un arrêt <strong>de</strong> la représentation sur l’état pathétique <strong>de</strong> la sultanemère.<br />

Quelle en est la fonction ? Assurément, elle n’est pas dramatique : l’oscillation<br />

<strong>de</strong> la sultane-mère entre amour et haine ne débouche sur aucune décision (<strong>de</strong><br />

pardon ou <strong>de</strong> vengeance) et seul un <strong>de</strong>us ex machina, le sultan lui-même, par<br />

l’intermédiaire d’un nouvel ordre d’assassinat, permet <strong>de</strong> précipiter dans son dénouement<br />

une action jusqu’ici arrêtée. Cette représentation <strong>de</strong> la passion trouve<br />

en vérité une justification générique : c’est en tout cas la leçon que nous apportent<br />

les divers commentaires échangés par les actrices <strong>de</strong> la fiction-cadre, soit sur ce<br />

récit précis, soit sur l’art du roman en général.<br />

Le jugement <strong>de</strong>s auditrices concernant la peinture <strong>de</strong>s passions dans cette <strong>nouvelle</strong><br />

est ostensiblement sévère :<br />

[…] ceux à qui Silerite raconta les amours <strong>de</strong> cette princesse furent inexorables pour<br />

elle. […] <strong>La</strong> certitu<strong>de</strong> qu’elles avaient que ce n’est pas dans les mœurs si éloignées <strong>de</strong>s<br />

dames chrétiennes et <strong>française</strong>s qu’il faut chercher <strong>de</strong>s vertus si sévères, ne put modérer<br />

une censure si rigoureuse 13 .

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