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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN-PHILIPPE IMBERT 321<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> a toujours été un genre <strong>de</strong> prédilection pour l’écriture <strong>de</strong>s monstres<br />

et du monstrueux, <strong>de</strong> ses origines écrites médiévales, avec l’ur-genre du lai,<br />

comme le «␣ Bisclavret␣ » <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> France, en passant par la pério<strong>de</strong> d’âge d’or,<br />

avec par exemple «␣ <strong>La</strong> mère <strong>aux</strong> monstres 4 ␣ » <strong>de</strong> Maupassant, jusqu’à aujourd’hui,<br />

comme le montre «␣ Les yeux d’Emma 5 ␣ » d’Antoine Chalvin. <strong>La</strong> brièveté et le travail<br />

<strong>de</strong> con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ont permis d’accentuer l’aspect cauchemar<strong>de</strong>sque<br />

du monstrueux, d’autant plus intense qu’il est bref. <strong>La</strong> trame narrative<br />

étant ténue, le lecteur n’est pas libre <strong>de</strong> ses choix, ou semble toujours trop en<br />

vouloir, et tente d’échapper à une diégèse sur-focalisée. Quoi qu’il en soit, tout<br />

tend à un <strong>de</strong>venir inattendu mais a posteriori révélateur, qui doit néanmoins choquer.<br />

Au contraire <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s à suspens, <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s noires, où l’une <strong>de</strong>s<br />

données du quoi, du quand ou du comment manque pour résoudre l’équation 6 , les<br />

<strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> monstres et les <strong>nouvelle</strong>s monstrueuses nous entraînent le long d’un<br />

quand et d’un comment, vers un quoi qui n’est révélé qu’en <strong>de</strong>rnier recours. En<br />

effet, l’importance <strong>de</strong> la closule et <strong>de</strong> la fin événementielle permet <strong>de</strong> travailler<br />

tous les ingrédients du monstrueux, faisant subir au lecteur une réaction <strong>de</strong> surprise,<br />

alliée à une projection vers un ailleurs terrifiant. Ce choc est dû à une<br />

élaboration du suspens menant à une surprise finale, provenant d’une élucidation<br />

inattendue et/ou d’une ouverture dérangeante.<br />

À l’orée <strong>de</strong> son écriture, l’intention <strong>de</strong> l’écrivaine était <strong>de</strong> travailler la <strong>nouvelle</strong><br />

7 . Pourtant, les trois livres qui constituent la «␣ trilogie␣ » d’Agota Kristof rentrent,<br />

d’après la maison d’édition, dans la catégorie «␣ romans␣ », comme chaque<br />

première <strong>de</strong> couverture l’indique. Si cette décision éditoriale ne semble pas être<br />

validable, comme l’implique ironiquement Le grand cahier à la quatrième <strong>de</strong> couverture,<br />

qui annonce une «␣ suite <strong>de</strong> saynètes tranquillement horribles␣ », le lecteur<br />

n’a pas pour autant affaire à un recueil <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s. Après le «␣ roman-par<strong>nouvelle</strong>s␣<br />

», dont parle Jean-Noël Blanc 8 , serions-nous en présence d’un «␣ romanpar-saynètes␣<br />

» ? Non, bien entendu, même si les remarques avancées par Jean-<br />

Noël Blanc pourraient éventuellement s’appliquer au Grand cahier :<br />

Constitué <strong>de</strong> fragments, <strong>de</strong> morce<strong>aux</strong>, tissé par chaque <strong>nouvelle</strong> aussi bien que par<br />

les vi<strong>de</strong>s qui les séparent, [le «␣ roman-par-<strong>nouvelle</strong>s␣ »] raconte toujours une histoire<br />

déchirée, et il sait qu’il est constitué aussi bien <strong>de</strong> ces histoires et <strong>de</strong> ces déchirures. Il<br />

est fait <strong>de</strong> relations probables et <strong>de</strong> liaisons improbables. Il ne dit jamais tout. Il n’est<br />

jamais parfait. Il est toujours troué. Il ne prétend pas à la totalité, il se sait fait <strong>de</strong><br />

bribes, et <strong>de</strong> bribes incomplètes. Il avance dans l’incertitu<strong>de</strong> 9 .<br />

Incertitu<strong>de</strong> : dans le cas du Grand cahier, nous ne pouvons parler ni <strong>de</strong> recueil –<br />

car nous ne sommes pas en présence <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s, malgré les intentions <strong>de</strong><br />

l’auteure – ni donc <strong>de</strong> roman-par-<strong>nouvelle</strong>s, mais bien d’une suite <strong>de</strong> récits s’amalgamant<br />

en un tout monstrueux. Si la <strong>nouvelle</strong> travaille la con<strong>de</strong>nsation sur le<br />

plan thématique tout autant que structurel, le rythme et la focalisation du récit

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