La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ODETTE, SIMONE, JEANINE, THÉRÈSE ET LES AUTRES : UN RÊVE DE FILM
La mise en rapport paraît incongrue, tant l’univers des Grosses rêveuses se situe
aux antipodes de celui de Short Cuts. Pourtant, ce qui nous intéresse ici s’articule
autour de deux points de convergence entre les collections de nouvelles de Fournel
et celles de Carver : la multiplicité des personnages et l’unité de lieu. Aux personnages
carveriens qui ne se connaissent ni entre eux ni eux-mêmes, répondent des
femmes qui d’une part se connaissent et se croisent quotidiennement, d’autre
part se découvrent elles-mêmes, s’imaginent et surtout possèdent cette faculté,
interdite aux protagonistes des nouvelles américaines, qu’est le rêve. Tandis que,
chez Carver, les personnages, incapables d’appréhender leur existence, se heurtent
au réel et se retrouvent face au vide, les héroïnes de Fournel, si elles n’échappent
pas à l’aliénation, du moins pour certaines, parviennent à s’évader grâce à
leur foi en l’imagination, le rêve et le sucre. Du point de vue spatial, à la place de
l’aliénante toile d’araignée des quartiers blancs de Los Angeles, c’est dans un village
français de taille modeste que le lecteur est transporté, village emblématique,
décrit minutieusement dans la nouvelle justement intitulée «␣ Le village␣ »,
où les lieux sociaux jouent pleinement leur rôle : la gare, l’église, l’école, la salle
des fêtes et les commerces.
Un projet d’adaptation cinématographique librement inspiré des Grosses rêveuses
pose des questions similaires à celles auxquelles Altman et Barhydt ont dû
répondre. Le matériau de base se composant de vingt nouvelles, peuplées par
quatorze héroïnes principales, clairement identifiées – Jeannette Ferrachat, Thérèse,
M me ␣ Wasserman, Jeanine, la grosse Claudine, Odette Froideveau, la dame de
la Grande Maison, Simone Marquet (dite la grande Simone), Josette Baconnier,
M me ␣ Bouvier, Mélanie Martin, Mélanie, la petite mémé et Léonne, deux anonymes
et deux enfants : Maline et Madeleine –, c’est de nouveau une machine narrative
combinatoire qu’il va falloir construire. Paul Fournel, membre éminent de
l’OuLiPo, résume, dans un article intitulé «␣ L’écrivain oulipien␣ » écrit en collaboration
avec Jacques Jouet, la problématique posée et la méthode dont devra s’inspirer
l’adaptateur pour parvenir à son but :
Quel type de procédure en amont engagera quel type de structure en aval ? Cette
interrogation passe inévitablement par L’exercice (c’est l’aspect artisanal très important
de ce travail) qui entretient avec La réflexion sur les principes un dialogue
permanent 15 .
Paul Fournel et Jacques Jouet soulignent par ailleurs l’importance de la contrainte
dans l’ouvrage oulipien. Si les contraintes imposées par Les grosses rêveuses
diffèrent grandement de celles qu’entraînait l’adaptation de Short Cuts, c’est pourtant
au niveau de la structure finale que ces distinctions apparaîtront de façon
évidente. En effet la procédure elle-même peut et doit s’inspirer du travail entrepris
autour de Carver. L’on fera appel une fois de plus à un système de cartes, tel
que l’ont mis en place dans une pratique de classe Christine Campoli et Isabelle
Laborde-Milaa 16 , à partir des Grosses rêveuses et d’un autre recueil de Paul Fournel,