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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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BEATRICE BARBALATO 341<br />

fendre, non pas la Chine contre les barbares, mais contre elle-même, dans l’existence<br />

<strong>de</strong>s multiples communautés qui la peuplent («␣ la créature humaine est semblable<br />

à la poussière qui se soulève dans l’air␣ », avait écrit Kafka 28 – et Celati : «␣ Il<br />

pensait que cette poussière faisait partie du sol […] soulevée par le vent et formant<br />

un nuage <strong>de</strong> poussière qui enveloppait les ombres 29 ␣ »), ainsi donc la frontière<br />

<strong>de</strong> Celati est mobile, elle ne ferme pas un espace, mais elle est changeante et<br />

privée d’épicentre, se rencontrer est presque impossible.<br />

Dans «␣ Un message <strong>de</strong> l’empereur␣ », Kafka avait exprimé par un détachement<br />

ataraxique l’impossibilité pour les temps <strong>de</strong> se rencontrer, l’impossibilité pour le<br />

message d’arriver, malgré l’attente patiente d’un homme 30 .<br />

Et Celati écrit : «␣ Nous attendons mais rien ne nous attend, ni un astronef ni<br />

un <strong>de</strong>stin 31 ␣».<br />

Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la confrontation <strong>de</strong>s extraits choisis c’est le sens général du<br />

récit <strong>de</strong> Kafka que l’on voit se répercuter chez Celati : on y voit mûrir une attente<br />

qui côtoie et glisse sur d’autres événements ; une attente vaine qui ne rencontrera<br />

jamais le «␣ message <strong>de</strong> l’Empereur␣ », ni d’autres messages.<br />

Dans un autre récit lapidaire, Kafka répète la même idée :<br />

Mon grand-père avait l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire : «␣ <strong>La</strong> vie est incroyablement brève.<br />

Aujourd’hui dans le souvenir, elle diminue au point que, par exemple, je réussis<br />

difficilement à concevoir comment un jeune garçon puisse déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> se rendre à<br />

cheval jusqu’au village voisin […]␣ » 32 .<br />

Le temps d’une vie ne suffirait pas pour arriver.<br />

Dans la façon <strong>de</strong> raconter <strong>de</strong> Celati, quelque chose empêche qu’un événement<br />

attendu s’accomplisse. Au-<strong>de</strong>là d’illusoires apparences, les attentes flottent dans<br />

un conglomérat <strong>de</strong> faits incompréhensibles qui dénoncent l’impossibilité <strong>de</strong> saisir<br />

la cohésion <strong>de</strong> l’ensemble, <strong>de</strong> l’évolution du temps, <strong>de</strong>s différents temps <strong>de</strong> se<br />

combiner.<br />

Les événements <strong>de</strong> «␣ I lettori di libri sono sempre più falsi␣ » se croisent <strong>de</strong><br />

façon à ce que ce qui arrive soit toujours dans une phase où le désir est déjà<br />

éteint. Ainsi le sens et le plaisir <strong>de</strong>s choses se per<strong>de</strong>nt, et c’est peut-être la démonstration<br />

<strong>de</strong> l’inexistence <strong>de</strong> la Loi, <strong>de</strong>s règles ; tout ce que l’homme fait, les<br />

efforts qu’il accomplit ne rencontrent jamais le moment culminant.<br />

L’écrivain <strong>de</strong> «␣ I lettori di libri sono sempre più falsi␣ » ne réussit pas à écrire, ne<br />

réussit pas à vendre ses livres, à convaincre les autres <strong>de</strong> lire, il ne réussit pas à<br />

dominer les situations sentimentales. Sa jeune compagne, une tête vi<strong>de</strong> qui part<br />

vivre toute seule, se transforme en une dévoreuse <strong>de</strong> livres, qu’elle réussit aussi à<br />

vendre, et elle <strong>de</strong>vient maîtresse d’elle-même. Lui, l’écrivain, <strong>de</strong>vient un critique<br />

– démolisseur <strong>de</strong> succès, sans joie ni légèreté. <strong>La</strong> vie en commun ne sera qu’une<br />

acceptation <strong>de</strong>s apparences d’une réalité qui transparaît incertaine et indéfinie,<br />

qui n’a rien <strong>de</strong> terrible, mais quelque chose <strong>de</strong> redoutable.

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