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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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HUYSMANS ET LA NOUVELLE<br />

aussi nombre <strong>de</strong> romans parmi les plus fameux <strong>de</strong> la littérature — il suffit <strong>de</strong><br />

penser à Flaubert —, sans doute est-elle présente aussi dans les romans <strong>de</strong><br />

Huysmans, mais elle participe alors d’un processus par lequel le genre, en se mettant<br />

lui-même en question, tend à se redépasser. L’ironie présente dans les <strong>nouvelle</strong>s<br />

<strong>de</strong> Huysmans n’interroge pas les lois <strong>de</strong> fonctionnement du genre et ne<br />

tend pas à les mettre en péril, pas plus qu’elle ne sape une volonté mimétique<br />

forcément limitée par la brièveté même <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>. L’ironie, dans Un dilemme<br />

et <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran, s’inscrit dans la logique d’une écriture, celle <strong>de</strong><br />

la <strong>nouvelle</strong>, qui tend nécessairement vers l’ellipse. Aussi peut-elle servir efficacement<br />

le projet satirique <strong>de</strong> Huysmans et contribuer à faire <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s<br />

<strong>de</strong>s œuvres d’autant moins novatrices, révolutionnaires, qu’elles sont, précisément,<br />

plus réussies.<br />

Par-<strong>de</strong>là le choix d’un instrument efficace pour dire le dégoût suscité par le réel,<br />

plus particulièrement par le mon<strong>de</strong> bourgeois, la <strong>nouvelle</strong> n’est pas loin, chez Huysmans,<br />

<strong>de</strong> constituer une «␣ forme-sens␣ ». Régie par le double principe <strong>de</strong> l’économie<br />

<strong>de</strong> moyens et <strong>de</strong> l’efficacité narrative à tout prix, la <strong>nouvelle</strong>, et la <strong>nouvelle</strong><br />

huysmansienne plus qu’aucune autre, mériterait d’être qualifiée <strong>de</strong> genre bourgeois,<br />

ou plutôt, «␣ américain␣ », pour reprendre l’adjectif, cher à Huysmans, par<br />

lequel il résume et dénonce le matérialisme et la recherche systématique du profit<br />

dans la société <strong>de</strong> son temps. Car l’économie <strong>de</strong> moyens et la recherche d’une<br />

efficacité maximale dans un laps <strong>de</strong> temps le plus court possible définissent aussi<br />

bien la stratégie d’écriture du nouvelliste que celle <strong>de</strong> maître Le Ponsart. Le notaire,<br />

«␣ qui aimait tant le gain, vantait tant l’épargne, que ses compatriotes s’exaltaient<br />

à l’entendre␣ » (63), soucieux <strong>de</strong> «␣ regagner son chez soi, par un train <strong>de</strong><br />

nuit␣ » (114), règle son compte à Sophie d’autant plus vite qu’il se doit <strong>de</strong> réaliser<br />

une «␣ économie␣ », «␣ juste compensation <strong>de</strong> ses prodigalités <strong>de</strong> l’autre soir␣ » (114)<br />

avec une prostituée, seul écart par rapport à cette règle sacro-sainte <strong>de</strong> l’épargne et<br />

du ren<strong>de</strong>ment. Le <strong>de</strong>rnier chapitre suggère plus encore <strong>de</strong> rapprocher l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Le Ponsart et celle du nouvelliste. Le notaire y lit à son gendre une lettre <strong>de</strong><br />

M me ␣ Champagne, la commerçante qui s’était faite l’avocat <strong>de</strong> Sophie. De cette lettre,<br />

maître Le Ponsart ne dégage que l’essentiel, c’est-à-dire les informations nécessaires<br />

pour signifier à nouveau la clôture du texte, la mort <strong>de</strong> Sophie et <strong>de</strong> l’héritier<br />

potentiel qu’elle portait dans son sein. Les digressions <strong>de</strong> la veuve Champagne<br />

sont pour le notaire un «␣ fatras␣ » (120), qu’il convient <strong>de</strong> pas lire, pour ne pas<br />

perdre son temps. Genre adéquat pour dire le réel, la <strong>nouvelle</strong> reproduit dans son<br />

fonctionnement même les principes qui excluent du réel. Dans le mon<strong>de</strong> décrit<br />

dans Un dilemme, on meurt, dans celui <strong>de</strong> <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran, on s’emmure<br />

vivant dans le réel. <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> Bougran conserve <strong>de</strong> la retraite religieuse,<br />

que le titre pourrait évoquer, le seul principe <strong>de</strong> l’enfermement, illustré dans l’écriture<br />

même par la clôture parfaite du récit. Or celui-ci, dans la <strong>nouvelle</strong>, se développe<br />

suivant <strong>de</strong>s lois aussi implacables et rigoureuses que les règles administratives,<br />

parfois absur<strong>de</strong>s, qui ont conduit à mettre monsieur Bougran à la retraite.

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