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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ALAIN CULLIÈRE 69<br />

gulaires, qui n’ont rien à voir avec ces vignettes ornementales qui ouvrent par<br />

exemple chacune <strong>de</strong>s journées du Décaméron dans toutes les éditions <strong>française</strong>s<br />

<strong>de</strong> l’époque 32 . Loin d’être <strong>de</strong> pur agrément, c’est une illustration qui se donne à<br />

lire 33 . Dans la réédition <strong>française</strong> <strong>de</strong> 1591, quelques images <strong>nouvelle</strong>s font leur<br />

apparition, notamment pour accompagner certains textes <strong>de</strong> Wickram, ce qui<br />

laisse penser que l’éditeur bénéficiait <strong>de</strong> réserves en matière <strong>de</strong> création et <strong>de</strong><br />

tirage. Délicieusement réalistes et pourtant toutes sobres, ces gravures théâtralisent<br />

les histoires, leur ajoutent du pittoresque ; elles dynamisent parfois avec<br />

vigueur les textes les plus ténus, en particulier certains «␣ dits mémorables␣ » <strong>de</strong><br />

cinq ou six lignes. Par exemple, lorsque Socrate se plaint <strong>de</strong> ses épouses qui, après<br />

l’avoir querellé, lui jettent <strong>de</strong>s se<strong>aux</strong> d’eau, et dit simplement qu’il est normal<br />

que la pluie vienne après l’orage, l’image vient mettre en scène ce qui n’est qu’un<br />

trait d’ironie désabusée et transforme ainsi l’apophtegme en récit. Elle permet<br />

une certaine transgression <strong>de</strong>s genres 34 . Le cas extrême est offert par l’un <strong>de</strong>s plus<br />

courts textes du recueil : cinq lignes prises à Guicciardini, qui présentent Démocrite<br />

et Héraclite comme <strong>de</strong>ux excellents philosophes en dépit <strong>de</strong> leur différence,<br />

l’un riant sans cesse <strong>de</strong> la folie du mon<strong>de</strong> et le second ne faisant que pleurer <strong>de</strong>s<br />

revers <strong>de</strong> fortune. Mais ces lignes dérisoires, soutenues par une image qui représente<br />

les <strong>de</strong>ux philosophes face à face, séparés par le globe terrestre, mimant le<br />

rire et les larmes, prennent finalement du relief et apparaissent comme la substance<br />

morale d’une histoire semblable <strong>aux</strong> autres histoires du recueil, mais qui<br />

serait sous-entendue, archétypale, qu’il appartiendrait au lecteur <strong>de</strong> fécon<strong>de</strong>r 35 .<br />

Cette illustration est assez inégalement répartie. Si, comme on vient <strong>de</strong> le voir,<br />

elle ne porte pas prioritairement sur les textes anecdotiques, elle concerne surtout,<br />

en revanche, les textes <strong>de</strong> Pauli. Il en résulte que, sur les dix-huit gravures,<br />

treize occupent la première moitié du recueil. Une telle répartition laisse penser<br />

que les images ont été réalisées dès les années 1550, au moment où le Schimpf und<br />

Ernst faisait l’essentiel du recueil, et que l’on s’est contenté <strong>de</strong> quelques images <strong>de</strong><br />

complément, en 1576, lorsque le recueil s’est diversifié. Mais il y a aussi dans<br />

cette réduction progressive du support visuel <strong>de</strong>s vertus pédagogiques insoupçonnées<br />

: d’un abord agréable et facile, l’image capte le lecteur et le porte peu à<br />

peu jusqu’au point où, l’imagination aidant, il parviendra à superposer <strong>aux</strong> mots<br />

ses propres représentations.<br />

Ainsi s’ordonne ce Recueil <strong>de</strong> plusieurs plaisantes <strong>nouvelle</strong>s, apophtegmes et récréations<br />

diverses, qui n’a trouvé sa forme définitive qu’en 1591. Dans l’esprit <strong>de</strong> Tyron,<br />

il s’offrait à la jeunesse studieuse comme un aperçu du grand livre du mon<strong>de</strong>,<br />

mais il répondait surtout, par sa confection même, à l’attente <strong>de</strong> tout un public<br />

voyageur et curieux, habitué <strong>de</strong>s relais <strong>de</strong> poste – public sans doute idéal pour<br />

Georg Wickram -, qui évoluait dans un grand cercle d’affaires dont Anvers pouvait<br />

être le centre. Si ce recueil s’est transformé en fonction <strong>de</strong>s circonstances et<br />

<strong>de</strong> la censure, ce n’est pas toutefois un produit hasar<strong>de</strong>ux et brouillon. On a le<br />

sentiment qu’il a fait l’objet, à différentes pério<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> beaucoup d’astuce.

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