La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ODETTE, SIMONE, JEANINE, THÉRÈSE ET LES AUTRES : UN RÊVE DE FILM
Quelle serait l’esquisse d’un film tiré des Grosses rêveuses ? Je proposerai ici
quelques idées quant à une possible structure combinatoire, sans aborder la question
des dialogues qui viendraient naturellement s’y ajouter. Le début de la nouvelle
intitulée «␣ La télévision en couleurs␣ » semble approprié pour situer le décor.
Une petite fourgonnette de livraison serpente dans la campagne et pénètre dans
ce bourg de province, qu’elle traverse en prenant soin de passer devant certains
emplacements stratégiques, devant certains personnages qui tous reviendront
jouer un rôle plus important dans la suite du récit. De plus, de multiples points
de vue subjectifs peuvent également tenir lieu de mise en place, comme l’on dit
dans les cuisines de restaurant où les différents ingrédients et composants des
plats sont disposés afin d’être prêts à l’emploi à l’heure du service. Embrasures de
fenêtres, perrons, pas de portes, cour de récréation, jardins, commerces, la Grande
Maison, autant d’espaces qui ponctueront le film.
La première nouvelle du recueil, «␣ La danseuse␣ », offre une apothéose bienvenue
grâce à une scène de bal où convergent les principaux personnages. Le retour
de Jeannette Ferrachat traversant le village sans ses escarpins, Cendrillon déçue,
clôture le film et résume la cruauté tendre et l’optimisme désespéré de Fournel.
Le spectateur ressent alors «␣ le petit coup de déprime␣ » dont l’auteur des Grosses
rêveuses dit qu’il saisit habituellement le lecteur de nouvelles à la fin de sa lecture,
petit coup de déprime qui n’est pas étranger au spectateur qui retrouve la vie au
sortir d’une séance de cinéma 19 .
Entre cette introduction et cette conclusion, les autres séquences s’articulent
autour d’un des lieux récurrents du film : la pâtisserie, vers laquelle la gourmandise,
élément central du recueil, pousse nombre des héroïnes. Alors qu’elle n’est
centrale que pour une seule nouvelle de Short Cuts, la pâtisserie devient ici à la
fois centre de gravitation des personnages – les spectateurs les y retrouvent souvent
–, et foyer centrifuge d’où partent plusieurs histoires individuelles. L’inspiration
provient ici d’un, ou plutôt de deux films, que les oulipiens ne renieraient
pas tant leur structure est aussi contraignante qu’elle est ludique : je veux parler
bien sûr de Smoking et No Smoking d’Alain Resnais. Dans ces films, une série mathématique
de variations, construite sur le mode du «␣ ou bien␣ », offre un éventail
de possibles narratifs. Les «␣ ou bien␣ » marquent en général un retour en arrière
du récit, lequel prend alors une autre direction. Cette méthode pourrait s’appliquer
aux Grosses rêveuses. Cependant, à la construction en arbre d’Alain Resnais il
faut substituer une construction en étoile, au «␣ ou bien␣ » répond «␣ un autre jour␣ »,
«␣ une autre fois␣ », la pâtisserie devenant ainsi la gare de triage d’où partent les
différents récits. La plupart d’entre eux sont explicites par l’image et la mise en
scène («␣ La télévision␣ »), d’autres requièrent l’aide de dialogues éclairant certains
aspects trop indéfinis (Léonne, Simone Marquet). Quelle que soit la base sémiotique
prépondérante pour tel ou tel récit, la pâtisserie représente l’endroit rêvé
pour la mise en scène du bavardage et des commérages (que l’on pense à la pâtisserie
toulousaine du Voyage au bout de la nuit). Basées sur le suspense et l’attente,