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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOTION DE FRAGMENT DANS LA FRESQUE ET LA NOUVELLE<br />

ment la résolution <strong>de</strong> cette énigme, mais sans doute son explication, ses raisons<br />

profon<strong>de</strong>s. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> nous laisse dans l’interrogation, dans le vertige <strong>de</strong>s suppositions.<br />

Dans un <strong>de</strong> ses rares recueils, Printemps et autres saisons, Le Clézio propose au<br />

regard d’un chien affamé une scène à l’écart du mon<strong>de</strong>, dans une caravane, bouleversante<br />

<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> et d’émotion : une femme met au mon<strong>de</strong> un enfant, et le<br />

chien qui a faim mangerait bien l’enfant. Pourtant, quand le nouveau-né apparaît,<br />

la présence singulière <strong>de</strong> la vie est si forte que le chien ne mange pas l’enfant.<br />

De ces trois êtres, nous pouvons ensuite tout reconstituer, ou tout imaginer : qui<br />

est la femme ? quel est le père <strong>de</strong> son enfant ? que <strong>de</strong>viendra-t-il ? à quel maître se<br />

vouera le chien ? L’incertitu<strong>de</strong> donne au texte cette émotion aiguë, aussi pénétrante<br />

que «␣ la pointe <strong>de</strong> l’infini␣ » comme pourrait le dire Bau<strong>de</strong>laire. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong><br />

ouvre sur cette question que l’on pose à la vie quand on ne sait pas, qu’on ne<br />

pourra pas savoir : «␣ Que sont-ils <strong>de</strong>venus ?␣ ».<br />

C’est cette fonction d’écho sans réponse précise qu’assure fréquemment la<br />

<strong>nouvelle</strong> et qui, paradoxalement, par son absence <strong>de</strong> réponse comble notre plaisir<br />

trouble <strong>de</strong> lecteur.<br />

Dans un récent recueil, <strong>La</strong> paupière du soleil, l’auteur, Chantal Portillo, livre les<br />

instants d’une vieille femme algérienne, Nahema, partie manifester contre l’intégrisme,<br />

et qui, parce qu’elle n’a rien vu, mourra d’une balle, tirée <strong>de</strong> nulle part,<br />

une balle aveugle.<br />

Alors, comme pour le spectateur épris <strong>de</strong> fresques <strong>de</strong> Pompéi, la <strong>nouvelle</strong> offre<br />

au lecteur son univers <strong>de</strong> fragments : instants <strong>de</strong> vie isolés par un regard, alors<br />

que les passants du réel ne verraient rien, et qu’enfin nous apprenons à voir ;<br />

mais en même temps, obscurité et incertitu<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> ces instants et qui renvoient,<br />

en miroir à nos propres doutes, et nos zones obscures, parfois même à la<br />

peur d’un danger qui guette, tapie comme une bête dans la jungle.<br />

Autour du fragment <strong>de</strong> la fresque, et celui <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, une même interrogation,<br />

muette comme le mur gris ou la page blanche, et stimulant, par son absence<br />

<strong>de</strong> réponse – ou son infinité – le désir d’une réponse. Dans tous les cas, naissance<br />

d’un plaisir : celui <strong>de</strong> l’expectative.<br />

Évelyne BALLANFAT

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