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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA PREMIÈRE ANTHOLOGIE EUROPÉENNE FRANCOPHONE DE LA NOUVELLE<br />

liberté nécessaire à la récréation du lecteur. Or, en parcourant le recueil <strong>de</strong> Tyron,<br />

on constate que ce principe n’a pas été entravé. Le regard s’accommo<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette<br />

distribution, <strong>de</strong> cette variété <strong>de</strong>s volumes correspondant à <strong>de</strong>s durées inégales <strong>de</strong><br />

lecture. C’est <strong>de</strong> cette fausse diversion permanente que naît le vrai «␣ divertissement␣<br />

» momentané. Au fond, l’apophtegme, présent chez Pauli, Corrozet et<br />

Guicciardini, se plaît avec la <strong>nouvelle</strong> proprement dite, dont il est comme la<br />

forme amenuisée. De même que la <strong>nouvelle</strong> met en situation <strong>de</strong>s personnages,<br />

l’apophtegme met en situation <strong>de</strong>s mots, surprend par invention ou effet <strong>de</strong> pointe,<br />

développant les mêmes potentialités récréatives et morales. Les textes ajoutés à<br />

ceux <strong>de</strong> Pauli et Bebel ont été judicieusement agencés <strong>de</strong> façon à préserver les<br />

équilibres : on trouve ainsi sept histoires <strong>de</strong> Bonaventure Des Périers, puis cinq<br />

textes <strong>de</strong> Corrozet, puis une vingtaine <strong>de</strong> Guicciardini, à nouveau cinq histoires<br />

<strong>de</strong> Des Périers, suivies <strong>de</strong> cinq emprunts à Corrozet, <strong>de</strong> six à Guicciardini, avant<br />

que reviennent encore pour finir Des Périers et Guicciardini 17 . Les récits <strong>de</strong> Des<br />

Périers, plus étoffés et mieux élaborés que les autres, donnent inévitablement un<br />

peu plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité au <strong>de</strong>rnier quart du recueil, <strong>de</strong>nsité encore accrue dans la<br />

réédition <strong>de</strong> 1591 par l’insertion <strong>de</strong>s quelques <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> Georg Wickram. Mais<br />

loin <strong>de</strong> briser l’harmonie d’ensemble, cette massification du texte semble ouvrir<br />

la structure, amplifier la matière, comme si l’on <strong>de</strong>mandait au lecteur un soin<br />

progressif, une participation plus exigeante qui lui garantisse <strong>de</strong>s plaisirs <strong>de</strong> plus<br />

en plus substantiels. Cette construction développante recèle, volontairement ou<br />

non, une métho<strong>de</strong> d’apprentissage.<br />

À cette technique d’assemblage, qui injecte sans rupture les pièces <strong>nouvelle</strong>s<br />

au corpus allemand ancien, s’ajoute un travail d’élagage qui vise à ramener les<br />

récits à leur noyau essentiel, c’est-à-dire sans entrée en matière et sans commentaire<br />

moral. Il arrive que Pauli, pourtant déjà sobre dans son expression, dégage<br />

<strong>de</strong> ses anecdotes une leçon à grands traits, le plus souvent avec humour ; chez<br />

Bonaventure Des Périers, les débuts sont parfois spirituels, bavards, l’écrivain<br />

cherchant à affirmer sa présence par <strong>de</strong>s bouta<strong>de</strong>s ou <strong>de</strong>s conclusions humoristiques.<br />

Cet environnement textuel, assez caractéristique du genre narratif bref, est<br />

justement ce qui sert à accréditer le récit. Si l’on compare les textes anecdotiques<br />

<strong>de</strong> notre recueil à leur version d’origine, on s’apercevra qu’ils sont fréquemment<br />

tronqués. On ne peut parler <strong>de</strong> contraction. Le compilateur ne résume jamais les<br />

textes trop longs ; il les amincit simplement par suppression <strong>de</strong> fragments ou <strong>de</strong><br />

phrases qui ne sont pas indispensables à la compréhension du récit. Faut-il y voir<br />

un autre effet <strong>de</strong> la censure ? Il est vrai que l’humour est toujours subversif et<br />

comporte une visée morale. Le narrateur semble vouloir ici offrir ses historiettes<br />

légères, moqueuses ou scatologiques, et s’éclipser en toute hâte, sans les commenter<br />

et sans attendre l’effet qu’elles produiront. Cette façon <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r peut<br />

s’expliquer aussi par diverses contraintes typographiques : l’imprimeur a peutêtre<br />

tout simplement souhaité concentrer un maximum <strong>de</strong> récits dans un nombre<br />

<strong>de</strong> pages limité, strictement attentif à leur contenu anecdotique 18 .

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