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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE ANTILLAISE CONTEMPORAINE<br />

rencontré la folie dans sa nudité originelle… 20 » ou encore, lorsqu’à la fin <strong>de</strong> son<br />

récit, elle interpelle à nouveau son auditoire :<br />

Mais je vois, à vos yeux, que vous voulez savoir le pourquoi <strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> la<br />

vieille Man Barnabé. Vous ne mettrez pas mes paroles en doute car je n’ai plus l’âge<br />

d’inventer <strong>de</strong>s fables. Eh ben, ce jour-là, oui, la pauvre créature a retrouvé en ma<br />

personne le portrait sans retouche <strong>de</strong> sa fille unique […] 21 .<br />

Par ailleurs, dans la <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong> Sylviane Telchid 22 , les <strong>de</strong>ux personnages princip<strong>aux</strong>,<br />

<strong>de</strong>ux frères, Ptit Georges et Mondésir, sont présentés comme étant chacun<br />

doté d’un pouvoir différent : le premier a le don <strong>de</strong> la parole, tandis que le<br />

<strong>de</strong>uxième sait écrire. Cependant, tout le sens du dénouement <strong>de</strong> l’histoire, hautement<br />

symbolique, est <strong>de</strong> souligner l’interdépendance <strong>de</strong> la parole et <strong>de</strong> l’écriture<br />

: la parole reste sans efficacité tant qu’elle n’est pas portée à l’écriture, <strong>de</strong><br />

même que l’écriture est impuissante si elle n’est pas animée par la force <strong>de</strong> la<br />

parole.<br />

Reste pourtant que, dans Écrire la «␣ parole <strong>de</strong> nuit␣ », l’apport théorique principal<br />

<strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s textes non-littéraires est précisément <strong>de</strong> souligner l’enracinement<br />

<strong>de</strong> la littérature antillaise dans l’oral. Déjà le titre <strong>de</strong> l’ouvrage met en valeur<br />

le rapport entre la parole et l’écriture : il s’agit après tout d’Écrire «␣ la parole␣ »,<br />

syntagme qui donne bien à entendre que la parole est ce qui, a priori, n’est pas ou<br />

qui n’est pas encore écrit. Et puis l’introduction <strong>de</strong> Ralph Ludwig reprend en la<br />

magnifiant l’importance accordée à l’oralité par l’auteur <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s six réflexions<br />

théoriques. Ainsi les sous-titres <strong>de</strong> son article sont par exemple «␣ Le clivage<br />

entre scripturalité <strong>française</strong> et oralité créole␣ », «␣ L’oralité comme “parole <strong>de</strong><br />

nuit”␣ », ou encore «␣ Les textes <strong>de</strong> la “parole <strong>de</strong> nuit”␣ ». L’envergure <strong>de</strong> ce souci <strong>de</strong><br />

la jonction fécon<strong>de</strong> entre les <strong>de</strong>ux mo<strong>de</strong>s se manifeste également dans les titres<br />

mêmes <strong>de</strong>s divers essais. L’article d’Édouard Glissant s’intitule ainsi «␣ Le chaosmon<strong>de</strong>,<br />

l’oral et l’écrit␣ » ; celui <strong>de</strong> Bertène Juminer «␣ <strong>La</strong> parole <strong>de</strong> nuit␣ » ; celui <strong>de</strong><br />

Patrick Chamoiseau «␣ Que faire <strong>de</strong> la parole ? Dans la tracée mystérieuse <strong>de</strong> l’oral<br />

à l’écrit␣ » ; celui <strong>de</strong> Raphaël Confiant «␣ Questions pratiques d’écriture créole␣ » ; et<br />

enfin celui d’Hector Poullet <strong>de</strong> Sylviane Telchid «␣ Mi bel pawol mi␣ » (ma belle<br />

parole). Et dans le contexte <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, l’insistance sur la parole et sur son<br />

passage à l’écrit revient, comme nous l’avons déjà indiqué, à jouer sur les limites<br />

traditionnelles du genre.<br />

Or, non seulement la <strong>nouvelle</strong> antillaise contemporaine travaille sur plusieurs<br />

plans la jonction entre l’oral et l’écrit, mais dans le recueil Écrire la «␣ parole <strong>de</strong><br />

nuit␣ », cette spécificité est théorisée à outrance dans le volet critique <strong>de</strong> l’ouvrage.<br />

Déjà en 1989, le pamphlet polémique Éloge <strong>de</strong> la créolité proclame que la réhabilitation<br />

<strong>de</strong> l’oralité est la priorité la plus pressante du mouvement <strong>de</strong> la créolité.<br />

Mieux, ce manifeste culturel prône «␣ l’insémination <strong>de</strong> la parole créole dans l’écrit<br />

neuf 23 ␣». Et les auteurs du manifeste <strong>de</strong> poursuivre : «␣ nous fabriquerons une littérature<br />

qui ne déroge en rien <strong>aux</strong> exigences mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’écrit, tout en s’enraci-

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