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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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CHRISTINE NOILLE-CLAUZADE 83<br />

Cette sévérité est ainsi placée sous le signe <strong>de</strong> l’étrangeté, <strong>de</strong> l’éloignement. <strong>La</strong><br />

distance morale est reconnue quant à la peinture <strong>de</strong>s passions, mais elle n’excuse<br />

rien. <strong>La</strong> princesse Aurélie avait déjà donné par avance, à la fin <strong>de</strong> son propre récit,<br />

les raisons fondamentales <strong>de</strong> cette condamnation morale :<br />

[…] Je n’aurais qu’à vous répondre […] que nous avons entrepris <strong>de</strong> raconter les<br />

choses comme elles sont et non pas comme elles doivent être ; qu’au reste, il me<br />

semble que c’est la différence qu’il y a entre le roman et la <strong>nouvelle</strong>, que le roman<br />

écrit ces choses comme la bienséance le veut et à la manière du poète, mais que la<br />

<strong>nouvelle</strong> doit un peu davantage tenir <strong>de</strong> l’histoire et s’attacher plutôt à donner les<br />

images <strong>de</strong>s choses comme d’ordinaire nous les voyons arriver que comme notre<br />

imagination se les figure 14 .<br />

<strong>La</strong> représentation <strong>de</strong>s passions est liée au choix d’un genre : au roman est rattachée<br />

une représentation idéaliste <strong>de</strong>s passions, «␣ comme elles doivent être␣ »,<br />

c’est-à-dire comme <strong>de</strong> «␣ be<strong>aux</strong> sentiments␣ », tels que «␣ notre imagination se les<br />

figure␣ » ; à la <strong>nouvelle</strong>, la représentation «␣ ten[ant] <strong>de</strong> l’histoire␣ », <strong>de</strong>s passions<br />

comme «␣ nous les voyons␣ » ; d’un côté, une convenance affichée <strong>aux</strong> exigences<br />

<strong>de</strong> la morale platonique, <strong>de</strong> l’autre, une déception morale conventionnelle dès<br />

lors que le regard moraliste (celui <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> foi ou celui <strong>de</strong> l’historien mémorialiste)<br />

se tourne vers le mon<strong>de</strong> d’ici-bas (le theatrum mundi <strong>de</strong>s mondains ou<br />

<strong>de</strong>s courtisans).<br />

En résumé, du côté <strong>de</strong>s romans, la mimesis <strong>de</strong>s passions est d’abord une réécriture<br />

conventionnelle <strong>de</strong>s modèles poétiques à la mo<strong>de</strong> (romans courtois, poésies<br />

pétrarquistes…) ; du côté <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> en revanche, l’imitation <strong>de</strong>s passions se<br />

cherche un modèle textuel : elle évoque ici celui <strong>de</strong> l’histoire, bien qu’il ne soit<br />

guère probant (nous avons vu le recours massif <strong>aux</strong> romans conventionnels, chevaleresques<br />

ou galants, qu’effectue Césy) ; mais à l’époque troublée où Segrais a<br />

publié ce recueil <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s, une autre écriture <strong>de</strong> l’histoire, contestataire, se<br />

mettait en place du côté <strong>de</strong>s mémorialistes, qui rejetait la poétique grosso modo<br />

épique <strong>de</strong> l’historiographie officielle, et prônait une poétique anti-romanesque :<br />

d’où l’argument présenté ici, qui <strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment un cliché (cf. les débats<br />

autour <strong>de</strong> la Princesse <strong>de</strong> Clèves), et selon lequel la <strong>nouvelle</strong> imite l’écriture <strong>de</strong><br />

l’histoire.<br />

Pour Floridon, un tel argument a une valeur doublement générique : bien que<br />

la <strong>nouvelle</strong> aille du côté <strong>de</strong> la représentation non valorisante, déceptive, <strong>de</strong>s passions,<br />

bien qu’elle ne soit pas la figuration idéale <strong>de</strong>s be<strong>aux</strong> sentiments, mais<br />

l’imitation défigurée <strong>de</strong>s travers du cœur, elle s’associe à un modèle rhétorique<br />

prestigieux, celui <strong>de</strong> l’historien, pour mieux se démarquer d’une référence possible<br />

au modèle comique du burlesque 15 .<br />

Mais quels sont alors les modèles textuels ou les techniques poétiques dont<br />

s’inspirent effectivement ces trois pages consacrées à la peinture du désespoir<br />

amoureux ? S’y reconnaît d’abord une rhétorique <strong>de</strong> l’hyperbole, laquelle corres-

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