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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ALICIA PIQUER DESVAUX 221<br />

Dans ce recueil «␣ réaliste␣ », qui ne cache pas ses prétentions romanesques, nous<br />

lisons <strong>de</strong> petites histoires banales, racontées brièvement, en suivant toujours une<br />

logique narrative qui les éloigne <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s oniriques du Libertinage, bien que<br />

leur conclusion produit toujours <strong>de</strong>s effets inattendus ; question <strong>de</strong> montrer le<br />

danger d’ignorer les événements historiques qui ont transformé l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />

(«␣ <strong>La</strong> sainte Russie␣ »), la perversité <strong>de</strong>s rapports humains («␣ L’inconnue du<br />

printemps␣ »), le hasard <strong>de</strong>s rencontres («␣ Chproumpph␣ »). Souvent l’auteur se<br />

plaît à ridiculiser ses personnages avec plus ou moins <strong>de</strong> cruauté, cherchant à<br />

amuser tout court son lecteur. Cependant, certains récits nous laissent, par leur<br />

ambiguïté, songeurs, spécialement par le recours à certains aspects vraiment étranges<br />

(«␣ L’aveugle␣ »). «␣ <strong>La</strong> machine à tuer le temps␣ » évoque l’escroquerie d’un f<strong>aux</strong><br />

prince polonais qui débarque dans une petite ville en proie à l’ennui et qui, sous<br />

prétexte <strong>de</strong> fabriquer une machine à tuer le temps, fait <strong>de</strong>s enfants à toutes les<br />

femmes du lieu. Avec cet habile séducteur, les femmes «␣ croyaient voir s’ouvrir<br />

<strong>de</strong>vant elles une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> plaisirs romanesques […]. Elles imaginaient <strong>de</strong>s fugues,<br />

je ne sais pas, moi, en Italie, les <strong>La</strong>cs, l’amour en chemin <strong>de</strong> fer, le contrôleur<br />

qui vous surprend. Dommage qu’on ne puisse pas aller en Pologne, les châte<strong>aux</strong>…␣<br />

». Pourtant, le récit s’assombrit, voici notre protagoniste, ennuyé <strong>de</strong> jouer<br />

son jeu, qui se prend au sérieux et prétend tuer effectivement le temps, car il sent<br />

le «␣ monstre du mal grandir en lui␣ ». Pourtant, il refuse à chaque reprise <strong>de</strong> prendre<br />

part <strong>aux</strong> activités régulières du pays et continue à brûler sa vie dans l’invention<br />

<strong>de</strong> fables, tandis que le temps inexorable continue <strong>de</strong> s’écouler… Comment<br />

ne pas voir, <strong>de</strong>rrière les pirouettes d’écrivain, une parodie du romancier lui-même,<br />

séduit par sa propre imagination ? C’est une mise en relief du danger réel subi par<br />

l’écrivain qui se plaît à confondre la réalité vécue et celle produite par les excès <strong>de</strong><br />

l’imagination.<br />

Cachées ainsi sous un style léger et désinvolte, plein d’humour, les <strong>de</strong>rnières<br />

<strong>nouvelle</strong>s du recueil (par la chronologie et la place qu’elles occupent à l’intérieur<br />

du livre) semblent tenir du plus pur divertissement d’un auteur qui se payerait la<br />

tête <strong>de</strong>s lecteurs, tantôt en frôlant l’absur<strong>de</strong> <strong>de</strong>s situations, comme dans «␣ Mini,<br />

mini, mi␣ » :<br />

Je vais te manger, dit-il et tint parole. Un vrai cannibale. Elle, promit <strong>de</strong> revenir,<br />

enfin les restes, pour son petit déjeuner. Mais, quand elle se pointa sur les onze<br />

heures, onze heures dix, ça dépend <strong>de</strong>s montres, il était sorti, crevant la faim, sans<br />

même laisser un mot à la porte <strong>de</strong> son studio, avec une punaise, comme ça se pratique<br />

dans le beau mon<strong>de</strong>. Qui c’est alors que tu as dévoré, <strong>de</strong>manda-t-elle, repentante,<br />

quand il revint vers le soir. Et lui : j’y ai pas dmandé s’nom. Parce qu’il bouffait<br />

aussi les syllabes quand la nourriture se faisait attendre. Prétendant qu’il pratiquait la<br />

grammaire génératrice. Une expression comme ça qu’il avait entendue. Mais ça date<br />

l’affaire […]. Remarquez, les femmes, ça rêve toujours d’un ogre. Je sais bien qu’il y a<br />

un pas entre le rêve et la réalité. Puis si on en rencontre un. Après, ça se plaint. Pas<br />

nécessairement, mais… Faut pas trop les croire. Elles y reviennent, ou c’est l’ogre qui<br />

y. Enfin 15 ;

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