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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET CONTE EN FRANCE, À LA RENAISSANCE<br />

jouer avec elle. On la fit servir à diverses causes ou idéologies (notamment pendant<br />

les guerres <strong>de</strong> religion 27 ). On inventa <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s invraisemblables, narrées<br />

par d’extravagantes sociétés et assorties <strong>de</strong> moralisations absur<strong>de</strong>s : la Nouvelle<br />

fabrique <strong>de</strong> Philippe d’Alcripe en reste l’exemple achevé 28 . <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong><br />

boccacienne entre alors en déclin, peu à peu objet <strong>de</strong> tous les soupçons. On dit<br />

que, trahissant sa vocation, elle est mensongère et frivole, voire fatalement polissonne,<br />

et condamnée comme telle par tout esprit sérieux ; elle est artificielle,<br />

sophistiquée, et rejetée à ce titre par les lecteurs traditionalistes, ennemis <strong>de</strong>s<br />

élégances italianisées 29 . Alors le vieux mot <strong>de</strong> «␣ conte␣ » (inusable, quant à lui)<br />

tend à revenir à la mo<strong>de</strong>, récupérant du terrain perdu (témoins Tabourot ou<br />

d’Ouville 30 ). Significativement, celui d’«␣ histoire␣ » est souvent adopté, sans doute<br />

pour ses connotations <strong>de</strong> gravité : c’est prendre acte d’une contradiction entre<br />

l’ambition littéraire du genre boccacien et le service <strong>de</strong> la «␣ vérité␣ » nue.<br />

Mais rien ne pouvait faire que la floraison <strong>de</strong> la Renaissance n’eût pas existé.<br />

Le mot <strong>de</strong> «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » s’est imposé dans la terminologie littéraire, et n’en disparaîtra<br />

plus – même si ce signifiant a perdu le référent précis <strong>de</strong>s origines. En un<br />

glissement sémantique très visible, le terme <strong>de</strong> «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » va être appliqué (par<br />

analogie linguistique ?) <strong>aux</strong> imitations <strong>de</strong> la novela corta espagnole. Sorel et Segrais<br />

donneront <strong>de</strong>s «␣ <strong>nouvelle</strong>s françoises 31 ␣ ». Par cet intermédiaire, et à partir du milieu<br />

du XVII e siècle, la <strong>nouvelle</strong> est presque <strong>de</strong>venue ce qu’elle est aujourd’hui <strong>aux</strong><br />

yeux paresseux du grand public : une forme brève du roman. Mais, sous cette<br />

définition pas plus que sous la précé<strong>de</strong>nte, nul pourtant ne la confondrait avec<br />

les «␣ contes␣ » <strong>de</strong> nourrice.<br />

Les phases suivantes <strong>de</strong> l’évolution terminologique sont un peu déconcertantes.<br />

Alors que l’histoire que nous avons esquissée était en somme celle d’un discernement,<br />

d’une dissimilation <strong>de</strong>s termes génériques, et que ce processus semblait<br />

parvenu à un équilibre, voici que tout se brouille <strong>de</strong> nouveau. À la fin du<br />

XVIII e siècle, les amateurs érudits qui fouillent dans le passé littéraire français hésitent<br />

visiblement à nommer «␣ <strong>nouvelle</strong>s␣ » les récits brefs <strong>de</strong> ceux qu’ils appellent<br />

«␣ nos vieux auteurs␣ ». Probablement parce qu’il n’est guère possible <strong>de</strong> parler <strong>de</strong><br />

«␣ vieilles <strong>nouvelle</strong>s␣ », mais aussi parce que les <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> la reine <strong>de</strong> Navarre<br />

leur semblent quand même trop différentes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong> <strong>La</strong>fayette. Ils<br />

parlent donc <strong>de</strong>s «␣ contes␣ » <strong>de</strong> l’Heptaméron, comme déjà <strong>La</strong> Fontaine <strong>de</strong>s «␣ contes␣<br />

» du Décaméron 32 . <strong>La</strong> génération <strong>de</strong> Charles Nodier héritera <strong>de</strong> cette terminologie<br />

perturbée. De fait, à partir du milieu du XIX e siècle, la critique s’habitue à<br />

employer le couple «␣ contes et <strong>nouvelle</strong>s␣ » pour désigner les recueils <strong>de</strong> narrations<br />

brèves, comme pour se dispenser <strong>de</strong> choisir entre les <strong>de</strong>ux termes, puisqu’on<br />

se souvient vaguement qu’ils ont désigné <strong>de</strong>s choses différentes.<br />

Seul le rappel du passé que nous venons d’explorer à grands pas permet <strong>de</strong><br />

retrouver, sous la grisaille convenue <strong>de</strong> cette locution («␣ contes et <strong>nouvelle</strong>s␣ »),<br />

non pas certes le «␣ vrai sens␣ » <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces mots (nous disions, en commençant,<br />

l’absurdité <strong>de</strong> cette prétention), mais les vives couleurs <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong>

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