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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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FLORENCE BOUCHET 13<br />

clenche les histoires <strong>de</strong> Theseus et d’Alerain). Ou bien, ne résistant pas au plaisir<br />

<strong>de</strong> conter une histoire qu’il juge intéressante, il conclut celle d’Alexandre et <strong>de</strong> la<br />

pierre magique : «␣ […] je, qui la apris, la mis en escript en mon livre, car assés<br />

m’en merveillay␣ » (ch. 150, f° 102d). Le récit <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> est ailleurs assumé<br />

par le Chevalier lui-même, en <strong>de</strong>s circonstances variées : il est témoin <strong>de</strong> l’histoire<br />

<strong>de</strong>s trois perroquets ; il raconte une histoire pour meubler la durée <strong>de</strong> son<br />

voyage et distraire ses compagnons <strong>de</strong> route (Caradoc 20 ) ou pour répondre à leurs<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d’information (Guillaume <strong>de</strong> Saluces) ; il utilise la <strong>nouvelle</strong> à la manière<br />

d’un exemplum, à titre d’argument dans le débat sur les femmes qui l’oppose<br />

au philosophe Raison (Sebile). Enfin, la narration est déléguée à d’autres<br />

personnages <strong>de</strong> rencontre : Orose (Grisilidis) 21 , Connaissance (Richar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saluces),<br />

un héraut d’armes (la <strong>de</strong>moiselle d’Escalot) 22 . À un niveau plus général, la<br />

<strong>nouvelle</strong> peut entrer en résonance avec d’autres éléments et thèmes récurrents <strong>de</strong><br />

l’œuvre. L’histoire <strong>de</strong> Grisilidis offre matière à réflexion à propos <strong>de</strong>s femmes et<br />

du bon gouvernement, <strong>de</strong>ux sujets relevant du processus d’apprentissage du Chevalier,<br />

<strong>de</strong> même que les topoï didactiques du temps qui passe invoqué pour presser<br />

le marquis <strong>de</strong> Saluces <strong>de</strong> se marier (f° 138c), ou <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong> Fortune qui<br />

élève puis abaisse Grisilidis avant <strong>de</strong> la relever définitivement (f os 142b-c). L’histoire<br />

<strong>de</strong>s trois perroquets offre un exemple complémentaire au sujet <strong>de</strong>s femmes<br />

en dépeignant cette fois une infidèle triomphante, mais la présence <strong>de</strong> perroquets<br />

doués <strong>de</strong> parole, et par là même analogues à l’homme, suggère une dimension<br />

allégorique <strong>de</strong> l’histoire. L’âge <strong>de</strong>s perroquets, qui distingue les <strong>de</strong>ux premiers,<br />

«␣ jeunes et folz qui ne scevent tenir <strong>de</strong> parler␣ » (f° 169c) du troisième, «␣ qui<br />

moult savoit et <strong>de</strong> grant aage estoit␣ » (f° 170a), fait écho à l’évolution suivie par le<br />

Chevalier lui-même, qui passe d’une jeunesse futile à la sagesse <strong>de</strong> l’âge mûr. Il est<br />

donc significatif que la leçon <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce soit dégagée par le Chevalier en personne,<br />

en tant que témoin et narrateur <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> (fait unique dans le roman)<br />

; il ne manque d’ailleurs pas <strong>de</strong> mettre en rapport le comportement animal<br />

et le comportement humain auquel celui-ci invite à réfléchir :<br />

moult me merveillay comment oysel pouoit avoir si grant senz, avisant pluseurs<br />

hommes qui doyvent avoir enten<strong>de</strong>ment raisonnable et en ont si pou et toujours<br />

voyent que mains sont honiz par leur trop parler, et en especial chose <strong>de</strong> quoy ne<br />

leur <strong>de</strong>vroit chaloir, ne que a eulz n’affiert (ch. 329, f° 170c).<br />

On pourrait donc multiplier les exemples pour montrer que les <strong>nouvelle</strong>s, au<br />

sein du roman, dépassent nécessairement leur cadre propre, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières :<br />

elles se constituent en réseau en se faisant écho les unes <strong>aux</strong> autres ; elles entrent<br />

chacune en interaction avec le reste <strong>de</strong> l’œuvre (ce fait est accentué par la nature<br />

allégorique du roman, qui stimule l’élaboration <strong>de</strong> tels rapports symboliques).<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> donc à être entendue, voire interprétée, à divers nive<strong>aux</strong><br />

<strong>de</strong> l’œuvre. Ce faisant, elle met en lumière certains traits <strong>de</strong> la lecture, telle qu’elle<br />

tend à se répandre à la fin du Moyen Âge. L’enjeu <strong>de</strong> la lecture dépasse nettement

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