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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LUC BONENFANT 279<br />

texte <strong>de</strong> «␣ L’ange <strong>de</strong> Dominique␣ » déroge <strong>de</strong> l’utilisation générale que la <strong>nouvelle</strong><br />

fait <strong>de</strong>s noms propres : tous les noms y semblent motivés, spécialement ceux <strong>de</strong><br />

Dominique et d’Ysa : «␣ Elle s’appelle Dominique, un nom grave et monacal […]<br />

Ysa. Le nom fait sec et frappé comme un écho jeté à la mer […]␣ » (AD, p.␣ 58<br />

et␣ 59). Le caractère cratyléen <strong>de</strong>s noms semble les faire participer du plus pur<br />

fonctionnement romanesque ; Anne Hébert inscrirait son texte dans la tradition<br />

<strong>de</strong>s grands romanciers, tels Proust dont Hébert reconnaît volontiers l’influence,<br />

qui font jouer pleinement le signifiant onomastique au sein <strong>de</strong> leur texte.<br />

Une ambiguïté subsiste tout <strong>de</strong> même. Et si la motivation du nom concourait<br />

plutôt à faire entrer <strong>de</strong> plain-pied le récit dans l’ordre du poétique ? Nous avons<br />

montré dans une autre étu<strong>de</strong> que l’utilisation <strong>de</strong>s noms propres dans Kamouraska<br />

soumettait le texte à la logique poétique. N’en pourrait-il pas être <strong>de</strong> même pour<br />

«␣ L’ange <strong>de</strong> Dominique␣ » ? Le nom serait donc l’indice textuel <strong>de</strong> l’ambiguïté<br />

générique même du texte… Par l’absence <strong>de</strong> patronymes, le texte appartient au<br />

genre <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>. Mais par l’abondance et la motivation <strong>de</strong>s noms qui s’y<br />

trouvent, il balancerait entre les genres narratif et poétique, il revendiquerait son<br />

statut ambigu <strong>de</strong> texte inclassable.-<br />

LE GENRE DE LA NOUVELLE ET LA MOSAÏQUE DES GENRES<br />

Nous ne sommes donc pas plus avancés qu’au début <strong>de</strong> l’analyse : parce qu’il<br />

balance entre narration et poésie, nous aurions donc <strong>de</strong>vant nous un texte inclassable<br />

qui confirmerait la pensée <strong>de</strong> Bene<strong>de</strong>tto Croce selon laquelle il n’y aurait<br />

que <strong>de</strong>s œuvres, pas <strong>de</strong> genres, ne nous apprenant donc rien <strong>de</strong> plus sur le genre<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>. Pourtant, nous ne pouvons nous résoudre à penser comme Croce,<br />

il nous semble qu’il y a toujours une logique générique dans le texte, même si elle<br />

doit être dépassée, subvertie. Avec Thomas O.␣ Beebee 30 , nous croyons que la logique<br />

générique est l’outil premier qui permet d’appréhen<strong>de</strong>r l’œuvre pour que<br />

l’on en saisisse ensuite les subtilités dans ce qu’elle lui offre <strong>de</strong> résistance. En<br />

effet, nous disons ici que le genre est nécessaire :<br />

[…] [l’œuvre] évoque <strong>de</strong>s choses déjà lues, met le lecteur dans telle ou telle disposition<br />

émotionnelle, et dès son début crée une certaine attente <strong>de</strong> la «␣ suite␣ », du<br />

«␣ milieu␣ » et <strong>de</strong> la «␣ fin␣ » du récit […], attente qui peut, à mesure que la lecture<br />

avance, être entretenue, modulée, réorientée, rompue par l’ironie, selon <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong><br />

jeu consacrées par la poétique explicite ou implicite <strong>de</strong>s genres et <strong>de</strong>s styles 31 .<br />

Dès lors, une question se pose : comment concilier les logiques propres au<br />

poème et <strong>aux</strong> genres narratifs au sein <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ? Comment faire fi <strong>de</strong> l’épigraphe<br />

qui stipule clairement que cette <strong>nouvelle</strong> est un poème alors que la diégèse<br />

secon<strong>de</strong> montre clairement l’appartenance du texte au genre <strong>de</strong> la prose ? <strong>La</strong><br />

<strong>nouvelle</strong> pourrait donc être caractérisée par <strong>de</strong>s attributs généralement attribués<br />

au poème en prose, mais, c’est du moins ce que suggère le texte d’Anne Hébert,

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