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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE À L’ÉPREUVE DU ROMAN MÉDIÉVAL<br />

ces. L’histoire <strong>de</strong> Caradoc et Guinier racontée par le Chevalier (ch. 280-285) est la<br />

con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> la troisième branche <strong>de</strong> la Continuation Gauvain (ou première<br />

continuation) du Conte du Graal, rédigée au tournant <strong>de</strong>s XII e et XIII e siècles. Or les<br />

différents manuscrits <strong>de</strong> la Continuation Gauvain présentent plusieurs versions<br />

courtes, mixtes ou longues, avec d’assez sensibles écarts dans la troisième branche<br />

(ou <strong>Livre</strong> <strong>de</strong> Caradoc) 12 . Thomas <strong>de</strong> Saluces opère un résumé sélectif et critique<br />

<strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière : il resserre l’intrigue autour <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principales aventures <strong>de</strong><br />

Caradoc (le défi <strong>de</strong> l’enchanteur Eliavrès : épreuve <strong>de</strong> la décapitation, et le serpent<br />

maléfique, dont Caradoc est délivré grâce à son amie Guinier). Même dans<br />

ces <strong>de</strong>ux épiso<strong>de</strong>s, il écourte, élimine les <strong>de</strong>scriptions, se borne <strong>aux</strong> faits essentiels.<br />

Des formules typiques : «␣ assés vous pourroie [je] dire␣ » (ch. 280, f° 152d),<br />

«␣ a brief parler␣ » (ch. 281, f° 153d) confirment ce souci <strong>de</strong> concision. Le récit ainsi<br />

obtenu est finalement plus court que les versions courtes du <strong>Livre</strong> <strong>de</strong> Caradoc,<br />

alors même que certains détails indiquent que Thomas connaissait une version<br />

longue <strong>de</strong> l’histoire ! Ce travail d’abrègement entraîne un assez net gommage du<br />

merveilleux. Thomas va finalement à l’encontre du mouvement d’amplification<br />

que connut la tradition manuscrite <strong>de</strong> la Continuation Gauvain (dont les versions<br />

longues sont postérieures <strong>aux</strong> brèves). Cette simplification révèle en même temps<br />

un souci <strong>de</strong> cohérence narrative. Enfin, cette version en prose assure à l’histoire<br />

<strong>de</strong> Caradoc une postérité XIII e siècle à cause du désintérêt qui pesait <strong>de</strong> plus en<br />

plus sur les vers.<br />

Autre cas remarquable, la célèbre histoire <strong>de</strong> Grisilidis (ch. 267-274) a fait l’objet<br />

<strong>de</strong> plusieurs récits au XIV e siècle : la <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong> Boccace (Décaméron, X, 10) est<br />

relayée en 1374 par une version latine <strong>de</strong> Pétrarque, lui-même traduit en français<br />

d’une part par Philippe <strong>de</strong> Mézières (entre␣ 1384 et␣ 1389), d’autre part par un anonyme.<br />

Ce sont ces <strong>de</strong>ux versions combinées qui servent <strong>de</strong> base, parfois textuellement,<br />

à Thomas <strong>de</strong> Saluces ainsi qu’à Chaucer, qui en tire la version anglaise du<br />

Clerc dans les Canterbury Tales 13 . L’histoire <strong>de</strong> Grisilidis est elle-même complétée<br />

par celle <strong>de</strong> Guillaume <strong>de</strong> Saluces au ch. 335. Plus précisément, il s’agit d’une<br />

«␣ suite rétroactive␣ », puisque Guillaume est le père du marquis Gautier <strong>de</strong> Saluces,<br />

l’exigeant époux <strong>de</strong> Grisilidis. Cette amplification narrative jouant sur un<br />

mouvement <strong>de</strong> remontée lignagère reproduit le procédé <strong>de</strong> continuation du matériau<br />

épique et arthurien entre le XIII e et le XV e siècle : le ch. 335 fournit tout à la<br />

fois l’histoire du père (Guillaume) et l’enfance du fils (Gautier). Cette histoire est<br />

peut-être <strong>de</strong> l’invention <strong>de</strong> Thomas <strong>de</strong> Saluces, même si le test <strong>de</strong> reconnaissance<br />

utilisé constitue un emprunt probable <strong>aux</strong> Gesta Romanorum. Dans l’histoire <strong>de</strong>s<br />

trois perroquets, l’écriture procè<strong>de</strong> par développement d’une anecdote relatée,<br />

avec quelques variations <strong>de</strong> détail, dans <strong>de</strong>s sources latines, franco-provençales et<br />

néerlandaises 14 , <strong>de</strong> façon toujours brève (d’une dizaine <strong>de</strong> lignes à 84 vers). Les<br />

<strong>de</strong>ux folios complets (ch. 323-329) <strong>de</strong> la version <strong>de</strong> Thomas <strong>de</strong> Saluces permettent<br />

à ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> faire preuve d’inventivité en accroissant la tension dramatique,<br />

d’une part grâce à une motivation psychologique plus profon<strong>de</strong>, d’autre<br />

part grâce à la prolongation finale du suspense.

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