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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN-PAUL DUFIET 383<br />

évolution psychologique et un découpage <strong>de</strong>stiné à signifier le temps. Contrairement<br />

au texte <strong>de</strong> Duras, on retrouve cette fois dans la <strong>nouvelle</strong> une action dramatique<br />

du langage au sens classique puisque l’officier allemand veut convaincre les<br />

<strong>de</strong>ux autres personnages. Dans la première partie <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> le discours indirect<br />

qui rapporte les paroles <strong>de</strong> l’officier est présent en alternance avec le discours<br />

direct ; en revanche dans la <strong>de</strong>uxième partie, alors que l’officier est revenu <strong>de</strong><br />

Paris où il était allé pour une permission, nous assistons à un discours direct en<br />

continuité dramatique. Une vraie scène <strong>de</strong> théâtre, alors que nous sommes dans<br />

la narration, avec un crescendo pathétique et sentimental, au terme duquel l’officier<br />

allemand quitte volontairement la France. Dans ce cadre, l’oncle, la nièce<br />

et le lecteur sont en position <strong>de</strong> spectateurs-auditeurs. L’officier allemand est un<br />

pur spectacle <strong>de</strong> mots dont le langage envahit tout l’espace textuel. Et le mutisme<br />

<strong>de</strong> l’oncle et <strong>de</strong> sa nièce dans la <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> n’a plus le même<br />

sens que précé<strong>de</strong>mment : dans la première partie il signifiait le refus <strong>de</strong> l’échange ;<br />

à présent il est l’écoute attentive et respectueuse du discours paradoxal <strong>de</strong> l’Allemand<br />

contre l’Allemagne nazie. L’oncle et la nièce incarnent le lecteur-spectateur<br />

qui assiste au drame <strong>de</strong> l’officier allemand.<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> Le silence <strong>de</strong> la mer est une pure dramaturgie <strong>de</strong> la parole et du<br />

mutisme, qui constitue bien une théâtralité du narratif.<br />

Marguerite Yourcenar est le troisième auteur qui nous permet <strong>de</strong> cerner le concept<br />

<strong>de</strong> théâtralité dans la <strong>nouvelle</strong>. Le passage <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> Denier du rêve (première<br />

version 1933, <strong>de</strong>uxième version 1959) à la pièce Rendre à César (1961) est<br />

plus lié à l’expression <strong>de</strong> la subjectivité qu’à la prise directe <strong>de</strong> parole. On trouvera<br />

ici l’exploitation d’une structure proprement narrative : l’enjeu <strong>de</strong> la théâtralité<br />

porte en effet sur le monologue intérieur.<br />

Même si Yourcenar appelle son texte «␣ roman␣ » on constate que les premiers et<br />

les <strong>de</strong>rniers chapitres sont construits comme <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s autonomes. Eu égard<br />

à la question qui nous intéresse, l’auteur a commenté le passage du narratif au<br />

dramatique. Yourcenar i<strong>de</strong>ntifie elle-même certains éléments <strong>de</strong> sa <strong>nouvelle</strong><br />

comme étant <strong>de</strong>s structures dramaturgiques. Dès lors le passage au théâtre apparaît<br />

comme naturel : «␣ le texte […] me parut se prêter à cette tentative 44 ␣ ». Yourcenar<br />

évoque la présence, dans Denier du rêve, «␣ d’une sorte <strong>de</strong> noyau dramatique␣ »<br />

qui sert à construire le second acte <strong>de</strong> Rendre à César ; et elle ajoute «␣ que <strong>de</strong>s<br />

scènes […] sont prises presque textuellement à la partie médiane du roman luimême<br />

45 ␣ ». Cet acte central «␣ est […] fidèle <strong>aux</strong> conventions du théâtre 46 ␣ » : on y<br />

retrouve une unité <strong>de</strong> lieu dramatique car c’est un acte «␣ bouclé sur soi-même,<br />

étroitement enclos à l’intérieur 47 ␣ » du logis d’un <strong>de</strong>s personnages. Dans le second<br />

acte <strong>de</strong> la pièce, Yourcenar va jusqu’à exploiter ce qu’elle appelle «␣ les procédés<br />

les plus défraîchis du théâtre␣ », à savoir <strong>de</strong>s «␣ secrets soudain révélés␣ » et «␣ la<br />

vieille astuce qui consiste à cacher quelqu’un <strong>de</strong>rrière une porte 48 ␣ ». En revanche<br />

aucune structure <strong>de</strong> la première partie du récit n’est propre à être transposée

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