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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LAURENT MARIE 413<br />

les <strong>nouvelle</strong>s «␣ <strong>La</strong> surprise␣ » et «␣ Cache-tampon␣ » par exemple peuvent faire l’objet<br />

d’un montage parallèle, la lente découverte <strong>de</strong>s gâteries cachées par Maline,<br />

entrecoupée par la pru<strong>de</strong>nte ouverture <strong>de</strong> l’inattendu et inquiétant ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> la<br />

grosse Claudine. De plus, les différents personnages réapparaissant <strong>de</strong> séquence<br />

en séquence soit comme figurants soit comme seconds rôles, le caractère polyphonique<br />

<strong>de</strong> l’ouvrage prendrait tout son sens. Rien n’empêche en effet <strong>de</strong> superposer,<br />

à travers la mise en scène, plusieurs récits. L’un occupant le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la<br />

scène, les autres en profon<strong>de</strong>ur, annonces ou échos d’épiso<strong>de</strong>s passés ou à venir.<br />

L’on pense alors à un film <strong>de</strong> Robert Altman où le talent <strong>de</strong> metteur en scène du<br />

réalisateur éclatait plus fortement encore que dans Short Cuts. Il s’agit <strong>de</strong> Nashville<br />

(1976), où la plupart <strong>de</strong>s personnages se croisent souvent dans un même plan ou<br />

une même scène (celle du carambolage, par exemple). L’autre chef-d’œuvre du<br />

septième art qui vient à l’esprit et qui fut à n’en pas douter l’une <strong>de</strong>s sources<br />

d’inspiration <strong>de</strong> Nashville, c’est Playtime <strong>de</strong> Jacques Tati (1967). Tati y multiplie<br />

les personnages, dissémine ses héros dans une ville mo<strong>de</strong>rne qu’ils arpentent et<br />

dans laquelle ils ne cessent <strong>de</strong> se croiser sur le mo<strong>de</strong> d’une dérive quasi situationniste<br />

20 . Les mêmes lieux voient se côtoyer les mêmes protagonistes et Tati organise<br />

son montage à l’intérieur du plan. L’on peut imaginer <strong>de</strong> la même manière<br />

que les spectateurs <strong>de</strong>s Grosses rêveuses fouillent l’écran pour y découvrir le graffiti<br />

se moquant <strong>de</strong> Thérèse, la grosse Claudine avec un pèse-personne sous le<br />

bras, O<strong>de</strong>tte étudiant un magazine télé, ou bien encore Simone Marquet discutant<br />

avec la dame <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Maison <strong>de</strong> sa récente découverte lexicale. Ainsi les<br />

écueils du film à sketches, où les épiso<strong>de</strong>s sont trop souvent disconnectés, pourraient-ils<br />

être évités au profit d’une circulation <strong>de</strong>s personnages entre les récits.<br />

Alors que, dans Short Cuts, la circulation se fait entre les scènes (entre les <strong>nouvelle</strong>s),<br />

elle <strong>de</strong>vrait ici avoir lieu à l’intérieur du plan (à l’intérieur <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s).<br />

<strong>La</strong> plus gran<strong>de</strong> difficulté, et seule véritable pierre d’achoppement d’une adaptation<br />

cinématographique <strong>de</strong>s Grosses rêveuses, concerne la dimension humoristique<br />

<strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s. Le risque est grand <strong>de</strong> voir la comédie prendre le <strong>de</strong>ssus <strong>aux</strong><br />

dépens <strong>de</strong> la tristesse et la mélancolie présentes dans ce recueil, qui, ne l’oublions<br />

pas, finit par la mort violente autant qu’acci<strong>de</strong>ntelle <strong>de</strong> Léonne. Il est essentiel<br />

que la dimension presque claustrophobique du village parvienne <strong>aux</strong> spectateurs,<br />

comme doit leur être transmise la terrible objectivité du narrateur <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s.<br />

Il n’y aurait rien <strong>de</strong> plus dangereux que <strong>de</strong> forcer le trait. Il me semble cependant<br />

qu’au jeu narratif auquel se livre Fournel dans ses <strong>nouvelle</strong>s correspond un équivalent<br />

cinématographique. Par exemple, l’intérêt <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> «␣ <strong>La</strong> danseuse␣ »<br />

rési<strong>de</strong> dans cette alternance <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue. Le montage <strong>de</strong>s plans subjectifs –<br />

le prince charmant –, et objectifs – la vie/le regard du narrateur –, en donnerait<br />

une parfaite traduction filmique.<br />

Cet exercice inachevé autour <strong>de</strong>s Grosses rêveuses a, je l’espère, dépassé le sta<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s «␣ bribes hallucinées␣ » dont faisait mention Daniel Grojnowski lors d’un précé<strong>de</strong>nt<br />

colloque 21 . Le travail <strong>de</strong> création inhérent à l’adaptation d’un texte écrit

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