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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN-MICHEL WITTMANN 181<br />

<strong>nouvelle</strong>, genre qui comporte le principe d’une certaine efficacité narrative. À<br />

l’époque où il écrit ces <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s, Huysmans prône un «␣ naturalisme mystique␣<br />

» : si elles ont l’air simplement naturalistes, c’est que l’esthétique <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>,<br />

du moins dans la perspective <strong>de</strong> Huysmans, ne s’accommo<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> la part<br />

à réserver au rêve et au «␣ supra-sensible␣ », voué par nature à n’entrer dans le texte<br />

que par la ban<strong>de</strong>, au prix d’une fissuration irrémédiable et fécon<strong>de</strong> du tissu romanesque.<br />

Fondée sur le principe <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong>s moyens mis en oeuvre, appelée<br />

à user <strong>de</strong> l’ellipse, sous différentes formes, la <strong>nouvelle</strong> apparaît au contraire comme<br />

un genre adapté pour décrire le mon<strong>de</strong> bourgeois et plus généralement le réel,<br />

pour en signifier l’insuffisance et pour évoquer l’enfermement mortel dans cette<br />

vie réelle qui n’est pas la vraie vie.<br />

Cette adéquation entre les enjeux engagés par ces <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s et les potentialités<br />

offertes par le récit court, mérite d’autant plus d’être soulignée, que Huysmans<br />

accuse les caractéristiques propres du genre en les exploitant. L’analyse<br />

d’un corpus extrêmement large <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s, menée dans la perspective d’un<br />

«␣ Essai <strong>de</strong> compréhension d’un genre␣ », a conduit Pierre Tibi à souligner comment<br />

certains thèmes conviennent particulièrement bien au récit bref. Ainsi le<br />

thème <strong>de</strong> la frontière, traité directement ou indirectement, comman<strong>de</strong> l’organisation<br />

<strong>de</strong> nombre <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s. Genre qui se prête admirablement <strong>aux</strong> effets <strong>de</strong><br />

l’ironie – et ce thème <strong>de</strong> la frontière a une parenté structurelle avec l’ironie –, la<br />

<strong>nouvelle</strong> serait souvent le lieu où l’appartenance <strong>de</strong> l’individu à son groupe social<br />

ou culturel tend à <strong>de</strong>venir problématique 8 . Or telle est finalement la question<br />

posée dans Un dilemme et <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran. Dans la première, l’appartenance<br />

<strong>de</strong> l’individu à la bourgeoisie, catégorie éthique plus encore qu’idéologique<br />

ici, se trouve contestée à un double niveau. Au concubinage <strong>de</strong> Jules avec<br />

sa bonne, Sophie, dont la mort aura seule empêché qu’il se transforme en mésalliance,<br />

répond la tentation <strong>de</strong> maître Le Ponsart. Parisien dans l’âme, amoureux<br />

<strong>de</strong> la capitale, où il est possible <strong>de</strong> jouir à l’insu <strong>de</strong> la société respectable, lecteur<br />

avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>La</strong> vie parisienne, le notaire est un intrus dans la petite société provinciale<br />

<strong>de</strong> Beauchamp et le combat entre maître Le Ponsart et Sophie redouble le combat<br />

que se livrent en lui le bourgeois et l’homme sensuel et jouisseur. Cette question<br />

<strong>de</strong> l’appartenance problématique <strong>de</strong> l’individu à son groupe d’origine est posée<br />

plus visiblement encore dans <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran qui, chassé du bureau<br />

comme Adam du Paradis, mais sans même connaître son péché, se retrouve<br />

étranger parmi ses anciens collègues, lorsqu’il revient les visiter.<br />

Si, toujours en se fondant sur cet «␣ Essai <strong>de</strong> compréhension d’un genre␣ », l’on<br />

considère l’une <strong>de</strong>s principales caractéristiques <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, à savoir sa capacité,<br />

par sa brièveté même, à se prêter <strong>aux</strong> effets <strong>de</strong> l’ironie, on s’aperçoit qu’elle<br />

est admirablement exploitée par Huysmans dans ses <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s. Féroce lorsqu’elle<br />

nourrit la satire du bourgeois, dans Un dilemme, tristement cruelle lorsqu’elle<br />

est exercée par le narrateur <strong>de</strong> <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran à l’égard <strong>de</strong><br />

son personnage, l’ironie est omniprésente. Sans doute celle-ci caractérise-t-elle

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