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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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COLETTE NYS-MAZURE 517<br />

Nous remarquons dans cette <strong>nouvelle</strong>, comme dans la plupart <strong>de</strong>s poèmes contemporains<br />

qui nous parlent au vif, le recours <strong>aux</strong> images <strong>de</strong> l’inconscient. Le<br />

lecteur sent la nécessité interne <strong>de</strong> l’enchaînement, la dictée <strong>de</strong> l’univers sousjacent,<br />

sans aller pour autant jusqu’à l’écriture automatique.<br />

POÈME ET NOUVELLE : POURQUOI CHOISIR ?<br />

Certains écrivains unissent librement poésie et prose au sein du même espace,<br />

manifestant par là leur caractère fugué, leur étroit accord, tout en signifiant par<br />

les graphies spécifiques les territoires distincts. Ainsi procè<strong>de</strong> «␣ Reconnaissance␣ »<br />

<strong>de</strong> Françoise Lison-Leroy 8 .<br />

Juliana, une femme ordinaire, va étendre son linge sur le pré et voici que le<br />

printemps la saisit toute ; elle cè<strong>de</strong> au vertige du renouveau, elle se livre nue à<br />

l’ivresse <strong>de</strong> la terre en réveil. Rien qu’une conduite <strong>de</strong> nymphe <strong>de</strong>s campagnes,<br />

quittant sans vergogne son tablier <strong>de</strong> ménagère, pour retourner à la vie élémentaire.<br />

Mais ces noces ont un témoin : Robin, un fermier voisin juché sur son<br />

tracteur. Va-t-on glisser vers le voyeurisme vulgaire, la chute prévue <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong><br />

dans l’adultère rustique ? Non ! L’homme est touché par la grâce : il participe<br />

du regard, <strong>de</strong> tout l’être, à cette célébration ; il gar<strong>de</strong>ra le silence, conscient<br />

d’avoir une <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> «␣ reconnaissance␣ » à l’égard <strong>de</strong> cette femme qui lui rappelle<br />

une vérité égarée. Rien ne sera trahi. Chacun restera dans son émerveillement<br />

(Juliana elle-même s’ignorera regardée).<br />

L’auteure fait précé<strong>de</strong>r sa <strong>nouvelle</strong> d’un dizain en vers libres :<br />

Elle marche, le silence à la main.<br />

Le paysage la regar<strong>de</strong>.<br />

C’est une fille <strong>de</strong> rien, <strong>de</strong> vent et d’autres. <strong>La</strong> petite aînée <strong>de</strong>s quatre voies. Vingt ans<br />

et tout l’amour dans la sangle <strong>de</strong>s hanches.<br />

Ta fille. Frange <strong>de</strong>s lieux maudits où les trop belles ne restent pas.<br />

Elle marche, tous ses mots dans le dos.<br />

Elle a pris avec elle le silence <strong>de</strong>s haies et celui <strong>de</strong> l’unique tilleul.<br />

Dans la cuisine<br />

la ri<strong>de</strong> du carreau<br />

s’écaille.<br />

(la petite aînée <strong>de</strong>s quatre voies) (p.␣ 5)<br />

C’est un vrai poème titré qui fait passer une silhouette non dans une «␣ Allée du<br />

Luxembourg␣ » <strong>de</strong> Gérard <strong>de</strong> Nerval, mais <strong>aux</strong> quatre voies. Il amorce l’évocation<br />

<strong>de</strong> la femme mûrissante qui se nouera à la terre, son aisance, son innocence, sa<br />

liberté. Une participation comme l’entendait Bachelard et, à sa suite, Onimus 9 :<br />

Peut-être la poésie n’est-elle pas autre chose que cet étonnement et cette fraîcheur :<br />

une pénétration insolite à travers le réseau <strong>de</strong>s apparences, une plongée «␣ métaphysique␣<br />

» qui est comme l’innocence retrouvée (p.␣ 85).

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