La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

RENÉ GODENNE 497
la mode (J. Ray) ou qu’on essaie de remettre à la mode (Ch. Plisnier) qui reparaissent
sous cette seule étiquette. Et l’éditeur de renchérir en gommant proprement
«␣ nouvelle␣ » au profit de «␣ roman␣ », comme dans cette notice à la réédition augmentée
d’un recueil de 1948 de Samivel, Il y aura de l’eau pour les cygnes, roman
(1983) :
Erreur d’étiquette. Par suite d’une confusion matérielle, où l’on est libre de découvrir,
au choix, les faits du pur hasard ou de son contraire, le prote, pour ce livre, a placé en
sous-titre le mot «␣ roman␣ », alors qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles […]. Mais
qu’est-ce qu’une nouvelle dans la lignée, sinon un court roman, réduit ou plutôt
peaufiné jusqu’aux structures essentielles, aux prolongements suggérés, et même
parfois aux conclusions ! En sorte que la faute tiendrait à la présence d’un «␣ s␣ » en
plus ou moins. Quoiqu’il en soit, voici le lecteur bien prévenu. Il lui reste à juger s’il
s’estime égaré, lésé, par la présence de plusieurs «␣ romans␣ » ou bien d’un seul 21 .
Aboutissement d’une telle volonté d’assimiler le recueil de nouvelles au roman
: l’étiquette de «␣ roman par nouvelles␣ », qui apparaît en 1989, sous la plume
de J.-N. Blanc : Chiens de gouttière, roman par nouvelles. Et l’auteur de se tenir désormais
à l’étiquette, qui désigne même à présent son premier recueil (Bardane
pour exemple, nouvelles, 1986) : Esperluette et compagnie, roman par nouvelles (1991␣ :
«␣ Ces vingt-trois nouvelles composent le ROMAN des saisons de ce grand-père et
de son petit-fils␣ », notice au verso), Fil de fer, roman par nouvelles (1992), Hôtel
intérieur nuit (1995␣ : «␣ […] autant de nouvelles qui rédigent en fin de compte le
ROMAN de cet hôtel␣ »). J.-N. Blanc n’est pas le premier à avoir choisi pour ses
nouvelles un personnage unique, un même lieu avec de mêmes personnages ; il
n’est pas non plus le premier, on doit le savoir, à avoir forgé une étiquette neuve,
puisque, dès 1943, se lit dans le service de presse du Printemps des hommes de
R.␣ Dumay :
Au point de vue technique Le printemps des hommes se présente comme une tentation
pour créer un genre nouveau. ROMAN-NOUVELLE, telle serait l’indication exacte de
ce livre qui se déroule comme le roman le plus classique, allant de l’enfance du héros
à son mariage. Sous des noms différents, à des âges différents, c’est le même homme
que nous découvrons. Le ROMAN-nouvelle a permis à l’auteur de réaliser plusieurs
des différents destins possibles pour le même personnage, qui, comme chacun de
nous, rêvait de courir le risque de plusieurs vies.
Il n’empêche que la «␣ commercialisation␣ » de l’idée revient à J.-N. Blanc :
Est-ce par refus des genres que vous utilisez l’appellation «␣ Roman par nouvelles␣ » pour trois
de vos textes ?
J.-N. B. : La question du rapport entre les textes, dans un recueil de nouvelles, me
préoccupe particulièrement. Si jamais ces rapports connaissent une certaine unité
tout au long du recueil, s’ils aident à tisser les textes dans un ensemble cohérent, et