03.07.2013 Views

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

MARIE GRIBOMONT 197<br />

Gabriel Arout signa <strong>de</strong>ux adaptations, respectivement <strong>de</strong> douze et <strong>de</strong> neuf <strong>nouvelle</strong>s<br />

<strong>de</strong> Tchékhov, l’une intitulée Cet animal étrange, en 1964 9 , sur l’homme en<br />

général, et l’autre Des pommes pour Ève, en 1969 10 , sur la femme en particulier. Ce<br />

sont <strong>de</strong>s suites <strong>de</strong> sketches — que faire d’autre lorsque les personnages <strong>de</strong> Tchékhov<br />

sont si variés ? Tout était joué par le même couple d’acteurs, par exemple Delphine<br />

Seyrig et Jean Rochefort, qui à eux seuls suffisaient à assurer la réussite du spectacle.<br />

Arout, lui aussi d’origine russe, a délibérément souligné le côté burlesque <strong>de</strong>s<br />

<strong>nouvelle</strong>s, même lorsque la drôlerie se doublait d’un écho plus pathétique. Incontestablement<br />

présent dans les <strong>nouvelle</strong>s qui servent <strong>de</strong> matériau, cet écho-là<br />

ne passe pas la rampe, en raison probablement <strong>de</strong> sa subtilité. <strong>La</strong> motivation <strong>de</strong><br />

l’adaptateur était précisément <strong>de</strong> provoquer, comme le dit un critique, «␣ cette<br />

découverte fascinante et désopilante d’un Tchékhov enfin gai… enfin cessant <strong>de</strong><br />

porter son cœur en écharpe et capable d’égaler, dans l’esprit, <strong>La</strong>biche, Courteline<br />

et Fey<strong>de</strong>au, dans l’humour, Bernard Shaw␣ » 11 . Arout expliqua comment il s’était,<br />

en quelque sorte, substitué à l’auteur défaillant :<br />

Ce Tchékhov rieur <strong>de</strong>s trente premières années, amateur <strong>de</strong> calembours et <strong>de</strong> blagues,<br />

a laissé un riche matériau dans lequel il eût sans doute largement puisé s’il s’était<br />

avisé plus tôt <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin d’auteur dramatique — il l’a fait d’ailleurs partiellement<br />

— et si les jours <strong>de</strong> sa vie lui avaient été moins chichement comptés. Me tiendra-t-on<br />

rigueur d’avoir tenté <strong>de</strong> le faire à sa place, selon mes moyens, avec beaucoup<br />

d’amour ? 12<br />

Des commentateurs se sont interrogés sur la véritable vocation <strong>de</strong> Tchékhov<br />

en matière <strong>de</strong> genre. On a émis diverses hypothèses : Tchékhov aurait été nouvelliste<br />

par nécessité alimentaire et dramaturge par goût, à ses rares moments perdus<br />

; ou nouvelliste par nature et dramaturge à défaut, lorsque la <strong>nouvelle</strong> ne<br />

convenait pas ; ou bien nouvelliste facile mais dramaturge laborieux, quoique<br />

génial ; ou encore foncièrement bigénérique, très à l’aise dans les <strong>de</strong>ux genres et<br />

choisissant l’un ou l’autre au gré <strong>de</strong> sa fantaisie ; etc. Parmi toutes ces visions <strong>de</strong><br />

Tchékhov, on s’accor<strong>de</strong> aujourd’hui à reconnaître qu’il maniait admirablement<br />

tant le genre dramatique que le genre nouvellistique, mais aussi qu’il choisissait<br />

généralement, pour chacun <strong>de</strong> ses sujets, le genre qui convenait le mieux à son<br />

<strong>de</strong>ssein. On remarque d’ailleurs que par <strong>de</strong>ux fois, il procéda lui-même à l’adaptation<br />

théâtrale d’une <strong>de</strong> ses <strong>nouvelle</strong>s ; <strong>de</strong>ux fois seulement. Quant à l’hypothèse<br />

qu’il eût écrit davantage <strong>de</strong> pièces comiques s’il avait vécu plus longtemps,<br />

elle ne tient guère. Ses quelques vau<strong>de</strong>villes font partie <strong>de</strong> ses œuvres <strong>de</strong> jeunesse<br />

et il eut par la suite tout le temps nécessaire pour en écrire d’autres ; s’il ne le fit<br />

pas, on peut raisonnablement penser que, simplement, il ne le voulut pas.<br />

Il est certain que le Tchékhov <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s, drôles ou non, mérite d’être mieux<br />

connu chez nous, mais le truchement scénique me laisse sceptique. Si le théâtre<br />

est un art du plus manifeste que la <strong>nouvelle</strong>, faut-il vraiment s’efforcer <strong>de</strong> faire

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!