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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN CLAUDE BOLOGNE 563<br />

sairement court ; il a un sens caché, souvent moral, mais ne l’explicite pas nécessairement<br />

par une maxime. <strong>La</strong> fable est un genre littéraire indépendant, le plus<br />

souvent en vers, qui, pour certains auteurs, n’est pas nécessairement narratif et<br />

ne contient pas nécessairement une morale, mais qui, lorsqu’il a un sens caché,<br />

prend soin <strong>de</strong> le résumer clairement en quelques mots. Dans sa caricature, elle<br />

souligne l’indépendance <strong>de</strong> cette maxime par un petit intertitre : «␣ Moralité␣ ».<br />

Pierre <strong>La</strong>urens, qui vient <strong>de</strong> traduire et d’éditer les apologues d’Alberti, y voit<br />

une «␣ réduction <strong>de</strong> la fable à la parabole␣ » du fait qu’ils n’explicitent pas la morale.<br />

Son emploi est caractéristique du nouveau sens pris aujourd’hui par le mot.<br />

On peut donc, dans l’emploi actuel, opposer la fable à la parabole et à l’apologue<br />

par la présence d’une morale explicite (en général, épimythion). <strong>La</strong> parabole s’oppose<br />

à l’apologue par le discours religieux dans lequel elle s’insère. Quant à l’apologue,<br />

lorsqu’il est inséré dans un récit, il peut avoir une morale exprimée, qui<br />

appartient cependant au récit extérieur et non à l’apologue lui-même. L’exemple<br />

<strong>de</strong>s membres et <strong>de</strong> l’estomac est caractéristique.<br />

Quant à moi, cette distinction, aujourd’hui assez nette, ne saurait me suffire.<br />

Nous avons vu que, après avoir tenté <strong>de</strong> distinguer fable, apologue et parabole<br />

par le contenu, le XIX e siècle s’est plus attaché à <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> forme (longueur,<br />

versification, forme narrative, morale explicite ou non…). On pourrait, à partir<br />

<strong>de</strong> là, élargir les définitions jusqu’au conte, dans un sens, jusqu’au proverbe, dans<br />

l’autre. Dans la Bible, rappelons-le, le même mot, parabolhv en grec, mâchâl en<br />

hébreu, désignait le proverbe et l’apologue. Dans un proverbe médiéval comme<br />

«␣ Tu le sauras, dit le beuf au thorel 27␣ », nous avons tous les éléments qui font la<br />

définition <strong>de</strong> l’apologue. Un court récit (il y a allusion à un passé, la castration du<br />

bœuf, et à un futur, celle du taureau) qui présente un sens caché contenant une<br />

morale applicable à l’homme (il ne faut pas se moquer <strong>de</strong> l’infortune d’autrui, car<br />

elle pourrait nous arriver).<br />

On pourrait même s’amuser, dans un exercice <strong>de</strong> style à la Queneau, à récrire<br />

certains contes, par exemple «␣ Le vilain petit canard␣ », sous forme d’apologue, en<br />

n’en conservant que les éléments narratifs dans un con<strong>de</strong>nsé <strong>de</strong> cinq ou six lignes.<br />

Puis sous forme <strong>de</strong> fable, en le mettant en vers et en en tirant la morale :<br />

«␣ Ne vous moquez jamais d’un enfant disgracié ; / Adulte, il <strong>de</strong>viendra peut-être<br />

un surdoué␣ ». Puis sous forme <strong>de</strong> proverbe : «␣ le canard noir grandira cygne␣ ».<br />

Voire sous forme <strong>de</strong> parabole : «␣ En vérité je vous le dis, le royaume <strong>de</strong>s cieux est<br />

semblable à un lac <strong>de</strong> cygnes où seront accueillis ceux qui se croyaient <strong>de</strong>s canards<br />

noirs␣ ». Le critère formel, s’il est important, ne pourrait me suffire.<br />

Outre cela, notre époque se méfie <strong>de</strong>s moralistes et <strong>de</strong>s sentences prédigérées.<br />

Je n’aurais jamais ressuscité l’apologue s’il avait porté pour moi une leçon univoque.<br />

S’il doit faire la lumière en nous par un sens caché sous l’analogie, son éclair<br />

n’est pas celui <strong>de</strong> Dieu écrivant d’un doigt <strong>de</strong> feu les comman<strong>de</strong>ments du Sinaï,<br />

mais celui du photographe qui révèle dans l’obscurité le visage <strong>de</strong> qui le regar<strong>de</strong>.<br />

Il nous apprend notre vérité, non celle d’illusoires maîtres à penser.

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