La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

CARMEN CAMERO PEREZ 397
suite du théoricien du conte Enrique Anderson-Imbert 6 et suivant l’ordre de fréquence
d’emploi, par les termes de mosaïque, enfilage et dominos.
Le livre en mosaïque offre un nombre varié d’épisodes liés par un thème commun
; l’action ne se suit pas de récit en récit, mais une même idée parcourt tout
le recueil, en faisant un tout homogène et structuré. Les ruptures de Frédéric Boutet 7
se construit sur trente-deux courtes nouvelles unies par le thème commun de la
rupture amoureuse d’un couple : mari-femme, amant-amante ou amis. Le point
de départ est le même dans toutes les nouvelles : victimes du même drame, tous
les personnages réagissent selon leur caractère et leur tempérament particuliers.
Boutet offre ainsi un vaste panorama d’un même événement, qui, malgré ses
variantes, se réduit finalement à l’expression d’un état de solitude et de vide
existentiel envahissant chacun des personnages.
Une situation identique apparaît dans Journal d’un homme trompé de Drieu
La␣ Rochelle, où les douze nouvelles du recueil sont liées par le thème de l’échec
amoureux à cause de l’infidélité et de la jalousie. Le caractère des personnages
accentue aussi l’homogénéité du livre par la répétition dans toutes les nouvelles
d’un même type d’individu passif et découragé, incapable d’accepter la situation
dramatique qui lui est imposée.
Valery Larbaud, témoignant, dans Amants, heureux amants…, de son goût pour
la diversité féminine, fait apparaître dans chacune des trois nouvelles de son recueil
un jeune protagoniste qui vit des aventures amoureuses avec des personnages
féminins différents. C’est précisément la femme qui constitue le sujet central,
permettant de lier les différents récits dans l’œuvre de Maurois, L’Anglaise et d’autres
femmes, et celle de Paul Morand, Tendres stocks 8 . Le livre de Maurois s’inscrit dans
la collection «␣ Elles␣ », que La nouvelle société d’édition, sous la direction de Noël
Sabord, fit paraître dans les années trente pour offrir aux lecteurs des portraits de
femmes de nationalités différentes. Prié de collaborer à ce projet, Maurois fut
chargé de présenter la femme anglaise, mais conscient du fait qu’il connaissait
un peu les Anglais et très peu les Anglaises 9 , l’auteur décida de raconter une série
d’histoires de femmes où, à côté des Anglaises, il fit aussi une place à d’autres
types féminins : Russes, Américaines et Françaises. En tout cas, il s’agit dans chacune
des nouvelles de pénétrer l’étrange psychologie féminine. Paul Morand construit,
selon une structure analogue, ses Tendres stocks, véritable tryptique où chaque
partie répond au portrait d’un personnage féminin : «␣ Clarisse␣ », «␣ Delphine␣ »
et «␣ Aurore␣ ». Conçue à partir d’une même idée motrice, chaque nouvelle offre
un aspect différent, introduisant ainsi une focalisation multiple. Morand reste,
sur ce point, fidèle au principe qui, d’après lui, doit présider à la construction de
tout recueil de nouvelles :
Chacune des nouvelles qui composent un recueil ne devrait être que la vue perspective
d’un sujet central, capté sous un angle différent : ainsi l’idée motrice de l’ouvrage
se trouverait aussi nettement cernée que par les chapitres d’un roman 10 .