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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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MARCEL AYMÉ, OU L’ART D’ABRÉGER<br />

Durant les cinquante ans qui constituent sa carrière dans les lettres, Marcel<br />

Aymé s’est exercé dans presque tous les genres littéraires, hormis la poésie. À cet<br />

égard, rien <strong>de</strong> plus facile que <strong>de</strong> suivre une trajectoire d’écriture dont les étapes se<br />

révèlent aussi homogènes qu’autonomes : à grands traits, en effet, on peut diviser<br />

ce <strong>de</strong>mi-siècle en <strong>de</strong>ux parties chronologiquement successives, consacrées respectivement<br />

et exclusivement <strong>aux</strong> genres narratifs et au théâtre, dans cet ordre.<br />

Dans la pério<strong>de</strong> narrative, celle qui nous intéresse ici, Aymé donne à la publication<br />

17 romans et 7 recueils <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s ; prééminence apparente du roman qui<br />

se réduit lorsqu’on ajoute à ce chiffre les 26 <strong>nouvelle</strong>s isolées que l’édition posthume<br />

<strong>de</strong> Michel Lécureur a rassemblées sous le titre <strong>de</strong> <strong>La</strong> fille du shérif 1 : au<br />

total, 87 <strong>nouvelle</strong>s, sans compter bien sûr les Contes du chat perché. Il ne s’agit pas<br />

en tout cas d’opposer quantitativement les <strong>de</strong>ux genres, mais <strong>de</strong> souligner que les<br />

recueils <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s se distribuent régulièrement dans la totalité <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> en<br />

question : la <strong>nouvelle</strong> n’est donc pour Aymé ni un instrument d’apprentissage<br />

comme chez certains, ni une pratique occasionnelle ou temporaire, mais un moyen<br />

d’expression indépendant. Ce n’est pas par hasard qu’en 1950 l’auteur entreprend<br />

une défense <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, négligée par les critiques <strong>de</strong> l’époque en faveur<br />

du roman :<br />

c’est un fait que leurs préférences [celles <strong>de</strong>s critiques] vont au roman […], onctueux<br />

lavement qu’à soi-même s’administre l’auteur et qui se souvient d’avoir épousé les<br />

méandres d’une intériorité (prononcer toutes les syllabes). […] En conséquence <strong>de</strong><br />

quoi […], il semblerait que <strong>de</strong> disgrâce il ne puisse être pire que celle consistant pour<br />

un auteur à publier un livre <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s, puisque c’est avouer au mon<strong>de</strong> et d’abord<br />

à soi-même qu’on n’est pas un bien grand écrivain et que le sort <strong>de</strong> l’humanité ne<br />

dépend pas d’une embardée <strong>de</strong> notre porte-plume. Mais moi, heureusement, je me<br />

rétorque sagacement la chose suivante, c’est que les écrivains âgés n’écrivent pas <strong>de</strong><br />

<strong>nouvelle</strong>s alors même qu’ils restent capables <strong>de</strong> pondre un gros fleuve, ce qui s’explique<br />

du reste aisément. Tandis que le roman procè<strong>de</strong> d’une décomposition viscérale<br />

du romancier, la <strong>nouvelle</strong> consiste essentiellement en un double mouvement réflexe<br />

qui <strong>de</strong>vient, dans la dynamique écrivassière, le ramassé et la détente. Il s’ensuit<br />

qu’écrire <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s, quand même on grisonne, c’est faire la preuve qu’on a conservé<br />

<strong>de</strong> la jeunesse dans les entournures <strong>de</strong>s intériorités 2 .<br />

Si la <strong>nouvelle</strong> est un genre indépendant, elle exige non seulement une plus<br />

gran<strong>de</strong> attention <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la critique, mais aussi, et bien avant, un traitement<br />

spécifique <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’auteur. C’est là justement notre objectif : celui <strong>de</strong> parcourir<br />

certaines constantes d’écriture qui, traversant tous les nive<strong>aux</strong> du récit,<br />

définissent l’originalité <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> Marcel Aymé par rapport à ses romans et

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