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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JOHNNIE GRATTON 545<br />

Un corollaire important <strong>de</strong> cette opération commune qui consiste à découper<br />

un morceau d’espace-temps visible ou narrable, c’est que, <strong>de</strong> part et d’autre, la<br />

découpe en tant que limite extérieure du dit morceau se re-marque nécessairement<br />

comme cadre, c’est-à-dire comme donnée compositionnelle. En effet, là où<br />

la découpe prélève un fragment, le cadre va contribuer à la production d’une<br />

forme unitaire et close. Ainsi, dans le domaine littéraire, l’esthétique <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong><br />

se complaît à effectuer un mouvement <strong>de</strong> relève qui efface hâtivement le<br />

morceau au profit du noyau. Telle est la conversion proposée dans la célèbre<br />

caractérisation du fragment <strong>de</strong> F.␣ Schlegel, et approuvée par Daniel Grojnowski<br />

dans son livre Lire la <strong>nouvelle</strong> comme formule s’appliquant «␣ sans peine␣ » au cas<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> : «␣ Pareil à une petite œuvre d’art, un fragment doit être totalement<br />

détaché du mon<strong>de</strong> environnant, et clos sur lui-même comme un hérisson<br />

4 ␣ ». Au niveau <strong>de</strong>s stratégies d’écriture, le passage du fragment à la forme close<br />

correspond à une conversion <strong>de</strong> la brièveté matérielle en figure qualitative <strong>de</strong><br />

l’écriture nouvellistique, figure qui doit beaucoup à un double travail <strong>de</strong> concision<br />

et <strong>de</strong> concentration. C’est cette correspondance, et le travail d’écriture qui la<br />

soutient, qu’affirme le constat suivant <strong>de</strong> D.␣ Grojnowski : «␣ Forme close, la <strong>nouvelle</strong><br />

apparaît aussi comme un texte saturé 5 ␣».<br />

Or, l’enchaînement <strong>de</strong>s couples fragment/clôture et clôture/saturation se retrouve<br />

au cœur <strong>de</strong> l’esthétique <strong>de</strong> l’image photographique. Chez Régis Durand,<br />

par exemple :<br />

Ce que les effets <strong>de</strong> cadre en photographie font apparaître, c’est une réalité morcelable<br />

à l’infini […]. Des éléments discrets, ainsi libérés d’un continuum ou d’une totalité,<br />

constituent une réalité autonome, coupée <strong>de</strong> toute cohérence narrative ou <strong>de</strong>scriptive.<br />

Ce qui apparaît ainsi, c’est bien, semble-t-il, un fonctionnement propre à l’image<br />

photographique […] : le cadre y a une fonction centripète, qui favorise la con<strong>de</strong>nsation<br />

et le retour <strong>de</strong> l’image sur elle-même, en une sorte d’implosion permanente 6 .<br />

De même que la délimitation nouvellistique n’empêche pas «␣ <strong>de</strong>s ouvertures<br />

sur l’au-<strong>de</strong>là du récit 7 ␣ », le cadrage photographique ne peut définir un champ<br />

sans suggérer en même temps un «␣ hors-champ␣ » potentiel. Mais, pour le critique<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ou <strong>de</strong> la photo, là n’est pas l’essentiel. De part et d’autre, il s’agit <strong>de</strong><br />

souligner l’importance <strong>de</strong> certains effets à la fois compositionnels et énergiques<br />

qui relèvent <strong>de</strong> la fonction «␣ centripète␣ » du cadre. Pour Durand, le reflux <strong>de</strong><br />

l’énergie en question vers l’intérieur du cadre <strong>de</strong> la photo risque toujours <strong>de</strong> prendre<br />

la forme d’une implosion, voire d’une sorte <strong>de</strong> catastrophe. Est-ce que l’on<br />

peut aller jusque-là en évaluant l’énergie centripète <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ? C’est une<br />

question à laquelle je reviendrai en examinant certains aspects <strong>de</strong> la configuration<br />

temporelle <strong>de</strong> l’instant.<br />

Qu’il s’agisse <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ou <strong>de</strong> la photographie, le geste fondamental <strong>de</strong> la<br />

découpe s’opère à la fois sur l’espace et sur le temps. Découpé, encadré, concentré,<br />

le temps s’érige et se fixe en instant. L’instant, ce mot dont la triple résonance

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