La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

LAURENT MARIE 411
Les petites filles respirent le même air que nous. Ainsi, pour ce dernier, 125 cartes
furent élaborées autour de 14 nouvelles étudiées, tandis que chaque nouvelle des
Grosses rêveuses était réductible à un minimum de sept cartes 17 . Personnages, lieux,
objets, schémas actanciels purent alors être utilisés par leurs élèves afin de composer
leurs propres récits. Ceux-ci, nous expliquent les deux enseignantes, montrent
un travail de planification préparatoire de la part des enfants, à l’instar de
Paul Fournel lui-même, qui rappelle que c’est sur ce principe même qu’il a composé
le recueil Les petites filles respirent le même air que nous. Fournel s’adresse ainsi
aux élèves :
Pour Les petites filles, je me suis fait une petite grille, qui d’après ce que je dois deviner,
est celle que vous avez tenté de reconstituer en lisant le texte. Je savais que dans
telle nouvelle, je devais retrouver un personnage, je devais retrouver un objet, de
manière à entuiler le recueil, comme les tuiles dans le Midi sont posées les unes sur
les autres… et c’était ça que je voulais arriver à faire, qu’on rebondisse d’une nouvelle
dans l’autre pour éviter ce creux qu’il y a toujours entre les Nouvelles, qu’on soit
dans une sorte d’univers familier 18 .
Les élèves de Christine Campoli et Isabelle Laborde-Milaa, Paul Fournel et l’adaptateur
des Grosses rêveuses se retrouvent en quelque sorte unis dans une même
procédure.
Néanmoins, si cette procédure s’apparente également à celle d’Altman et
Barhydt, le résultat, la structure finale seront fort éloignés de leur film, et ce pour
deux raisons principales. Premièrement, l’unité de temps de Short Cuts (les trois
derniers jours de la semaine) serait ineffective ici. En effet, il se dégage des Grosses
rêveuses un sentiment d’itération. Certaines nouvelles dépeignent un événement
unique et ponctuel, telles «␣ La surprise␣ », «␣ Le village␣ » ou «␣ Belle de lunch␣ »,
d’autres jouent sur la durée, «␣ La télévision␣ », «␣ Le tutu␣ » ou «␣ La puce␣ » par exemple,
d’autres enfin sont fondées sur l’itération, de manière explicite dans «␣ Crépuscule␣
» et «␣ Hypoglycémie␣ », ou implicite dans «␣ La danseuse␣ » ou «␣ Soirée de
gala␣ ». Difficile dans ce cas de sauter d’un récit à l’autre : un montage alterné à la
Short Cuts risquerait d’être inopérant chez Fournel. Deuxièmement, l’unité de
lieu et les relations des personnages à celui-ci nécessitent une attention particulière.
Ce qui était de l’ordre du fortuit, de l’accident chez Altman, devient au
contraire, dans Les grosses rêveuses, de l’ordre du banal, du quotidien, de l’habitude.
Les habitants d’un petit village se connaissent, se rencontrent, se courtisent
ou se jalousent. Ceci signifie qu’à moins d’aller à l’encontre de l’esprit du recueil
en isolant les personnages les uns des autres, le film se doit de traduire cette
caractéristique en multipliant les croisements et les superpositions. Pour ce faire,
seul un travail de mise en scène, utilisant les ressources de la profondeur de champ,
permettra d’atteindre ce but. Au lieu d’être étalées comme elles le furent dans le
cas de Short Cuts, les cartes qui composent Les grosses rêveuses devront former des
piles, la carte du dessus, carte maîtresse, désignant l’héroïne principale. Une réussite
mènera au succès.