La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

CHRISTINE MASUY 421
celui de l’auditeur, qui va primer lors de l’élaboration de ces normes. Le récepteur
devient l’élément essentiel du dispositif. «␣ Désormais, note Guillaume
Monsaingeon, voilà l’univers radiophonique borné par ce point fixe auquel tout
auteur doit se soumettre.␣ » Avant d’ajouter cet élément essentiel pour ce qui nous
occupe :
La bonne radio devient adaptation parfaite aux souhaits et aux capacités de l’auditeur,
c’est-à-dire très exactement le contraire de la littérature qui, d’après Gadda, ne
doit pas considérer les désirs vils et faciles du lecteur !
Et plus loin encore :
Force est de souligner […] à quel point la radio constitue l’antithèse absolue de la
littérature : partant d’une hypothétique structure linguistique «␣ neutre␣ », la littérature
serait le résultat d’un processus de complexification accrue, tandis que la radio
relèverait d’une simplification outrancière 18 .
Faut-il dès lors opposer définitivement texte littéraire et texte radiophonique ?
Ou peut-on faire de la «␣ littérature simplifiée␣ » dont les nouvelles écrites pour la
radio seraient un exemple ?
INTERDITS
Cette simplification que prône Gadda est sans conteste la première réalité de
l’écriture radiophonique. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir rapidement
quelques manuels 19 destinés aux étudiants en journalisme, manuels d’écriture
dite «␣ communicationnelle␣ », utilisée par la presse écrite ou audiovisuelle. Ces
manuels, celui de Gadda en tête, regorgent d’interdits. Doit être banni tout ce qui
pourrait nuire à la simplicité, et d’abord, d’une manière générale, les longueurs.
«␣ “Surtout, fais court”. Ces trois mots sont devenus le leitmotiv des salles de rédaction␣
», constatent les professionnels comme les analystes qui parlent d’ailleurs
quelquefois d’«␣ information confetti 20 ␣ ». En parfaite concordance avec cet impératif
primordial, nous avons déjà évoqué les vertus radiophoniques de la brièveté
du genre de la nouvelle. Il faut noter que cette brièveté tient aussi au respect de ce
que, en matière journalistique, on appelle un «␣ cadrage␣ », c’est-à-dire le découpage
d’un événement ou d’un fait parfois complexe en autant de sous-séquences
circonscrites que nécessite sa simplification. «␣ Qu’elle relève de l’information ou
de la fiction, la nouvelle circonscrit un fait précis qui lui impose des limites strictes␣
», écrit Grojnowski 21 à ce propos. «␣ Elle a pour objet de rapporter ce qui est
arrivé à tel individu, en telles circonstances.␣ »
Faire bref et simple 22 , c’est aussi proscrire les phrases longues. Les gens de radio
sont ici confortés par des recherches expérimentales sur la mémoire immédiate :