La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

400
NOUVELLES DU XX e SIÈCLE : DE L’ANTHOLOGIE AU RECUEIL
tion : l’enfance («␣ Les maladies pareilles␣ »), l’adolescence («␣ Comme l’aimant fait
d’une aiguille␣ ») et le commencement de l’âge adulte («␣ L’exécution de
Marinèche␣ »). Tandis que la première étape se définit par l’énorme pouvoir d’une
imagination qui n’arrive pas à discerner réalité et fantaisie, la deuxième sera
marquée par la découverte du premier et grand amour de l’adolescence, coïncidant
avec un état de bonheur complet. La métamorphose de ces deux étapes sera
annoncée dans la troisième nouvelle, où l’approche de l’âge adulte fait déjà disparaître
et la fantaisie et le bonheur.
Suivant une technique de composition identique à celle d’Aveline, Franz Hellens
construit ses Réalités fantastiques 14 , donnant la parole à un narrateur
autodiégétique qui raconte son passé d’enfant et d’adolescent. «␣ La petite rousse␣ »,
«␣ Le monde inférieur␣ » et «␣ La chasse au canard␣ », jouant sur des tons différents,
humoristique dans la première nouvelle, ironique et critique dans les deux autres,
visent à montrer le mélange de naïveté et de cruauté qui définissent le caractère
de l’univers enfantin. En effet, à côté de l’innocence de l’enfant ébloui qui voit
pour la première fois les bouts des seins de sa petite amie, l’adolescent de «␣ La
chasse au canard␣ » jouit des féroces cruautés qu’il fait subir aux animaux.
Progressant vers une plus grande cohérence et unité, le recueil construit en
dominos développe, comme la construction en mosaïque, un même sujet central,
ajoutant à l’homogénéité thématique une succession logique et chronologique
des événements racontés. Drieu La␣ Rochelle offre, dans La comédie de Charleroi
15 , un exemple représentatif de ce type d’organisation. Les six nouvelles qui
composent le recueil sont ordonnées d’après la succession logique et réelle des
faits racontés. Le point de départ est constitué par l’évocation de la bataille de
Charleroi, en 1914, suivie par celle de Dardanelles (1915), pour arriver finalement
aux vêpres de l’armistice en 1918. Conduit par des causes diverses à rappeler
le passé tragique d’une Première Guerre Mondiale qu’il vécut lui-même, le je
qui raconte, narrateur et protagoniste, personne et personnage, nous fait participer
à l’expression d’un drame universel à travers les expériences de ses fantasmes
particuliers.
Les nouvelles de Drieu, comme celles de Lacretelle, Larbaud, Morand, Le Clézio,
Giono, Aveline, Hellens, Jean-Pierre Martin et d’autres que les contraintes de
la brièveté ne nous ont pas permis de citer ici, montrent à quel point les livres de
nouvelles du XX e siècle s’éloignent des anthologies arbitraires pour devenir de
plus en plus le résultat d’un plan conscient et préétabli par des auteurs désireux
de faire de leur livre un véritable recueil.
Carmen CAMERO PÉREZ
Université de Séville.