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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET CONTE EN FRANCE, À LA RENAISSANCE<br />

n’importe où, et les offre oralement à un groupe d’auditeurs, à la faveur d’une<br />

circonstance sociale (veillée…).<br />

Cette ritualité du conte fabuleux, venu du fond <strong>de</strong>s temps, se manifeste dans<br />

sa structure même, nécessairement rigi<strong>de</strong>, ne serait-ce que pour se transmettre<br />

sans déformation d’une génération à l’autre (ici, on se contentera <strong>de</strong> renvoyer à<br />

V.␣ Propp : le héros, les trois épreuves, les adjuvants… 18 ). À l’opposé, la <strong>nouvelle</strong><br />

apparaît caractérisée par sa plasticité même : là, l’écrivain est libre d’inventer la<br />

forme en vue <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> efficacité narrative, et notamment pour organiser<br />

le «␣ basculement␣ » <strong>de</strong> l’intrigue. En effet, si les <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> récits font appel à la<br />

connivence du public, c’est <strong>de</strong> façon bien différente : dans le cas du conte, cette<br />

connivence rési<strong>de</strong> dans le fait que les auditeurs reconnaissent l’histoire qu’on<br />

leur raconte ; dans celui <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, ils reconnaissent sans doute le cadre et les<br />

personnages, mais ils jouissent (en principe) d’une aventure inattendue, qui pourrait<br />

(presque) survenir dans leur propre existence – et c’est pourquoi il y a un lien<br />

intime entre la <strong>nouvelle</strong> et l’exemplum <strong>de</strong>s prédicateurs 19 .<br />

Voilà, pensons-nous, la relation première et fondamentale entre conte et <strong>nouvelle</strong>.<br />

<strong>La</strong> secon<strong>de</strong> est comme un sous-continent du premier, qui s’en est détaché<br />

au début <strong>de</strong> l’âge mo<strong>de</strong>rne, par l’attraction conjointe d’un modèle littéraire et <strong>de</strong><br />

la «␣ muse Typosine 20 ␣».<br />

Du côté <strong>de</strong>s écrivains, cette séparation ne s’est pas opérée sans réticences, voire<br />

sans résistances dont témoignent, comme on a vu, les pesanteurs terminologiques.<br />

Prenons, au milieu du siècle, le cas <strong>de</strong> Noël Du Fail. Quoique connaissant fort<br />

bien le modèle boccacien (il pratique lui-même le récit encadré), il n’aime visiblement<br />

pas le mot «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » et, se voulant écrivain «␣ à la vieille françoyse␣ »<br />

(rebelle à l’italianisation <strong>de</strong>s lettres), il l’évite dans ses titres. Mais il faut regar<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong> près l’intitulation <strong>de</strong> son <strong>de</strong>uxième ouvrage : Baliverneries et contes nouve<strong>aux</strong><br />

d’Eutrapel 21 . Pourquoi «␣ nouve<strong>aux</strong>␣ », puisqu’il n’a publié jusque-là nul conte<br />

d’Eutrapel ? <strong>La</strong> raison semble simple, et bien intéressante ; ayant à narrer la vie<br />

quotidienne <strong>de</strong> son Eutrapel, au temps même où il écrit et dans un village proche,<br />

il sent que le mot «␣ conte␣ » est impropre à désigner ce qu’il fait là. En créant<br />

l’expression <strong>de</strong> «␣ contes nouve<strong>aux</strong>␣ », il offre un substitut français au mot «␣ <strong>nouvelle</strong>␣<br />

», nous révélant du même coup ce qu’il entend tacitement par ce <strong>de</strong>rnier<br />

terme. Et il y a plus précieux encore. Dans ses Propos rustiques, qui sont (à leur<br />

manière) <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s, voyons-le évoquer son bonhomme Robin Chevet, le dos<br />

au feu, «␣ commençant un beau conte […], <strong>de</strong> Mélusine, <strong>de</strong> Loup-Garou, <strong>de</strong> Cuir<br />

d’Asnette 22 ␣ ». Avec un instinct terminologique très sûr, il n’hésite pas, pour ces<br />

récits-là, à employer le mot <strong>de</strong> «␣ contes␣ ». Et, <strong>de</strong> ces contes fabuleux (si l’expression<br />

n’est pas décidément un pléonasme), il ne nous donnera que les titres ; l’écrivain<br />

Du Fail ne les rédigera pas, lui qui écrit <strong>de</strong>s «␣ contes nouve<strong>aux</strong>␣ » – <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s,<br />

en somme : car Peau d’âne n’en est assurément pas une. Nous pensons que<br />

la lucidité <strong>de</strong> Du Fail rejoint ici celle <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong>s Contes amoureux par Madame<br />

Jane Flore, qui, dix ans plus tôt, au moment du plein triomphe <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, a

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