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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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FLORENCE BOUCHET 9<br />

et médiévales, récits occitans) : l’écriture médiévale <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> est autant traduction<br />

et compilation que création véritable 7 .<br />

Revenons à notre <strong>Livre</strong> du Chevalier errant : par rapport <strong>aux</strong> éléments qui viennent<br />

d’être rappelés, il présente l’intérêt <strong>de</strong> constituer un cas intermédiaire entre<br />

récit isolé et recueil. Mon propos ne vise nullement la prise en compte exhaustive<br />

<strong>de</strong>s récits brefs intégrés à la narration ; plutôt que d’entrer dans le détail <strong>de</strong> ce<br />

texte d’accès difficile 8 , je m’en tiendrai à <strong>de</strong>s observations générales susceptibles<br />

<strong>de</strong> dégager quelques traits caractéristiques <strong>de</strong> l’écriture et <strong>de</strong> la lecture à la fin du<br />

Moyen Âge, tout en réfléchissant <strong>aux</strong> rapports instaurés entre la <strong>nouvelle</strong> et le<br />

texte qui l’englobe 9 . Ainsi, l’œuvre <strong>de</strong> Thomas <strong>de</strong> Saluces intègre, à l’intérieur du<br />

cadre narratif constitué par l’errance du Chevalier, <strong>de</strong> multiples récits et anecdotes,<br />

mais ce <strong>de</strong> façon discontinue et à <strong>de</strong>s nive<strong>aux</strong> variables <strong>de</strong> la narration. On<br />

peut distinguer <strong>de</strong>s «␣ <strong>nouvelle</strong>s inci<strong>de</strong>ntes␣ » constituées par le récit d’un événement<br />

(plus ou moins complexe) survenu au cours <strong>de</strong>s aventures du Chevalier<br />

(récit opéré par le Chevalier en tant que témoin ou par l’un ou plusieurs <strong>de</strong>s<br />

protagonistes) et <strong>de</strong>s «␣ <strong>nouvelle</strong>s insérées␣ » qui constituent un véritable décrochement<br />

narratif (le locuteur, qu’il soit le narrateur omniscient, le Chevalier ou<br />

un autre personnage, introduit un événement hétérogène à l’aventure, impliquant<br />

<strong>de</strong>s actants, <strong>de</strong>s lieux et <strong>de</strong>s époques étrangers à la diégèse) 10 . Le narrateur<br />

omniscient, dans ce <strong>de</strong>rnier cas, se montre bien conscient du phénomène et prend<br />

soin <strong>de</strong> délimiter la digression :<br />

Dont je vous diray celle aventure au plus brief que je pourray pour retourner a ma<br />

matiere (ch. 65, f os 36d-37a).<br />

Ainz vous vueil raconter aucunes <strong>de</strong> ses aventures […]. Dont, au plus brief que je<br />

pourray, je <strong>de</strong>termineray mon compte pour retourner a ma matiere (ch. 70, f o 38d).<br />

Meshui je veueil retourner a ma matiere, car trop vous ay sermonné (ch. 75, f o 43a).<br />

Mais je vous vueil rettraire, <strong>de</strong>vant que je aille plus avant ne que je vous nomme les<br />

autres partiez [du mon<strong>de</strong>], une aventure qui avint a Alixandre le fort roy quant il ot<br />

conquis tout le mon<strong>de</strong> (ch. 149, f o 101a) 11 .<br />

Certaines <strong>de</strong> ces formules expriment en même temps le souci <strong>de</strong> la brièveté,<br />

qui est bien le premier critère définitionnel <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, associée au sentiment<br />

<strong>de</strong> son «␣ ipséité␣ » (au sens où, formant un tout irréductible au reste <strong>de</strong> l’œuvre,<br />

elle pourrait en être supprimée) et <strong>de</strong> son intérêt propre, qui motive malgré tout<br />

son récit.<br />

Plus curieusement, l’introduction <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s dans le <strong>Livre</strong> du Chevalier errant<br />

(1200 pages au total !) oblige l’écrivain à conjuguer une esthétique <strong>de</strong> la concision<br />

avec une esthétique (typique <strong>de</strong>s œuvres tardives) <strong>de</strong> la longueur. <strong>La</strong> taille<br />

<strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s présentes dans l’œuvre varie entre 2 et 25 pages ; beaucoup en<br />

comprennent une dizaine environ – longueur en quelque sorte «␣ idéale␣ » si l’on<br />

songe, par exemple, <strong>aux</strong> récits <strong>de</strong> Boccace. Or ce format résulte <strong>de</strong> démarches<br />

d’écriture qui varient en fonction <strong>de</strong>s sources d’inspiration <strong>de</strong> Thomas <strong>de</strong> Salu-

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