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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ÉCRIRE À LA LIMITE : LE RÉCIT MUTILÉ<br />

MONSTRES ET MONSTRUEUX DANS<br />

LA TRILOGIE D’AGOTA KRISTOF<br />

Agota Kristof n’a pas écrit <strong>de</strong> trilogie. Agota Kristof n’a pas écrit <strong>de</strong> roman.<br />

Agota Kristof a tenté <strong>de</strong> mettre sur papier les <strong>nouvelle</strong>s d’une tragédie d’autant<br />

plus monstrueuse qu’elle s’avère indicible.<br />

Le grand cahier, <strong>La</strong> preuve et Le troisième mensonge 1 placent l’auteure hongroise<br />

dans la lignée <strong>de</strong>s grands exilés (politiques ou non) <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong> notre<br />

siècle qui trouvent par le biais d’une écriture mutilée un moyen d’expression du<br />

«␣ déracinement <strong>de</strong> la mémoire 2 ␣».<br />

Dans une première partie, nous verrons comment ces trois livres, placés dans<br />

la catégorie <strong>de</strong> romans, n’en sont pas réellement, et comment ces trois livres,<br />

regroupés en trilogie, n’en forment pas réellement une. Nous examinerons alors<br />

comment est relancé le débat <strong>de</strong> la catégorisation générique, pour en réaffirmer<br />

l’impossibilité d’une définition univoque. Dans notre secon<strong>de</strong> partie, nous démontrerons<br />

comment, sous la mythopoèse kristovienne du déracinement existentiel,<br />

source du monstrueux contemporain, l’on voit rapi<strong>de</strong>ment sourdre un<br />

mythe personnel dénonçant les monstrueuses limites <strong>de</strong> tout acte littéraire qui<br />

ne peut s’exprimer qu’au travers du travail <strong>de</strong> la mutilation, <strong>de</strong> l’incision, et qui<br />

se traduit par l’inscription <strong>de</strong> la brièveté et <strong>de</strong> la parataxe.<br />

ÉCRIRE À LA LIMITE<br />

Ces trois livres témoignent à leur manière <strong>de</strong> la pérennité <strong>de</strong>s monstres et du<br />

monstrueux dans notre civilisation. En produisant <strong>de</strong>s formes monstrueuses, en<br />

ajoutant <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s formes à celles perçues dans la nature, et en continuant en<br />

quelque sorte la création, Agota Kristof oppose à son univers un anti-mon<strong>de</strong>,<br />

d’autant plus monstrueux qu’il en est <strong>de</strong>venu critère d’une réalité contemporaine.<br />

Georges Canguilhem 3 définit la monstruosité – et nous adhérons à cette<br />

définition – comme étant «␣ une menace acci<strong>de</strong>ntelle et conditionnelle d’achèvement<br />

ou <strong>de</strong> distorsion dans la formation <strong>de</strong> la forme. C’est par l’intérieur et non<br />

par l’extérieur que l’individu se voit limité, lorsqu’il découvre sa monstruosité␣ ».<br />

Agota Kristof va donc emprunter le mécanisme du monstrueux pour exprimer sa<br />

douleur, et rejoindre l’acception du monstre <strong>de</strong> Canguilhem pour lequel la monstruosité<br />

est une négation du vivant par le non viable, mais qui <strong>de</strong>vient partie<br />

inhérente du vivant, pour alors être assimilée au réel. Pour dire la part la plus<br />

secrète d’elle-même (celle même qu’elle ne connaît pas), elle instaure un écart<br />

par rapport à la nature, et face à cet écart, rencontre à son tour ce que, en elle, elle<br />

ignore et peut-être refuse.

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