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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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564<br />

L’APOLOGUE<br />

Qu’on parle <strong>de</strong> fable ou d’apologue, cette absence <strong>de</strong> moralité est une <strong>de</strong>s exigences<br />

<strong>de</strong> l’époque mo<strong>de</strong>rne. Borges, citant Kipling, disait qu’il est permis à un<br />

écrivain <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s fables et non <strong>de</strong> savoir quelle en était la moralité. «␣ Cela<br />

revient <strong>aux</strong> autres␣ ». «␣ <strong>La</strong> fable est un texte qui enseigne quelque chose mais qui<br />

ne sait pas forcément quoi␣ », dit Jean-Marie Le Sidaner en 1988. «␣ <strong>La</strong> fable<br />

d’aujourd’hui ne propose aucun co<strong>de</strong> <strong>de</strong> conduite : elle préfère dire plutôt que<br />

faire faire␣ », renchérit Michel <strong>La</strong>mart en 1997 28. En fonction <strong>de</strong> cette <strong>nouvelle</strong><br />

exigence, je pense qu’il faudrait redéfinir l’apologue, sinon la fable, dans le contexte<br />

mo<strong>de</strong>rne. Certains s’y sont essayés, les tirant plus vers la poésie ou vers la<br />

narration. Ma tentative va plutôt dans cette secon<strong>de</strong> direction.<br />

Les critères extérieurs, s’ils sont importants, ont montré leur insuffisance : la<br />

fable n’est pas toujours en vers, l’apologue pas nécessairement en prose ; la <strong>nouvelle</strong>,<br />

le récit, le conte, ne s’en distinguent souvent que par <strong>de</strong> fragiles critères <strong>de</strong><br />

longueur. C’est pourquoi je leur ajoute <strong>de</strong>s critères intérieurs. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> propose<br />

dans ma conception un récit obvie, qui se suffit à lui-même ; la fable, une<br />

morale illustrée par un exemple ; l’apologue, un exemple dont chacun tirera sa<br />

morale.<br />

Si nous opposons l’apologue type, les membres et l’estomac, à une fable caractéristique,<br />

par exemple «␣ Les anim<strong>aux</strong> mala<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la peste␣ », on voit que tous<br />

<strong>de</strong>ux cherchent, par une comparaison, à mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s rapports entre<br />

<strong>de</strong>s groupes humains à l’intérieur d’une hiérarchie sociale. Le premier insiste sur<br />

leur complémentarité ; la secon<strong>de</strong>, sur leur injustice foncière. Mais, dans l’apologue,<br />

il s’agit <strong>de</strong> rapports nécessaires à l’intérieur <strong>de</strong> l’exemple choisi : l’estomac<br />

effectivement ne peut survivre sans les membres qui lui apportent la nourriture,<br />

et ceux-ci mourront sans l’estomac qui la digère. Dans la fable, au contraire, les<br />

anim<strong>aux</strong> sont dans une certaine limite interchangeables : l’agneau prendrait tout<br />

aussi bien la place <strong>de</strong> l’âne, et seule une vieille tradition a imposé le lion, plutôt<br />

que le léopard ou l’ours, comme roi <strong>de</strong>s anim<strong>aux</strong>. <strong>La</strong> fable aurait exactement le<br />

même sens si une poule s’accusait d’avoir volé du grain <strong>de</strong>vant la cour du loup.<br />

Cette opposition entre une réalité nécessaire et une autre conventionnelle se<br />

retrouve dans l’opposition entre le symbole et l’allégorie. Telle est ma conception<br />

<strong>de</strong> l’apologue, qui est plus <strong>de</strong> l’ordre du symbole, quand la fable serait <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

l’allégorie. Ce sont <strong>de</strong>s attributs conventionnels qui donnent son sens à une allégorie<br />

par ailleurs indéterminée ; c’est une réalité d’un autre ordre, un rapport<br />

naturel, qui donne le sien au symbole. Nous sommes toujours, avec l’allégorie,<br />

dans le domaine du rationnel ; avec le symbole, nous entrons dans la pensée<br />

analogique. L’allégorie par conséquent est univoque et peut se résumer à l’exposé<br />

détaillé <strong>de</strong> ses attributs. Le symbole recevra autant d’interprétations que <strong>de</strong> lecteurs,<br />

parce que le lien entre la réalité évoquée et les comportements humains est<br />

d’ordre affectif et non logique.<br />

Cette différence entre une nécessité interne et une nécessité externe peut être<br />

rapprochée <strong>de</strong> ce que Nygren disait <strong>de</strong> la parabole. Le Christ raconte un exemple

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