03.07.2013 Views

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

MADELEINE JEAY 27<br />

velles, qui <strong>de</strong>vrait s’imposer puisque tout est vrai, par une version du topos <strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>stie à saveur <strong>de</strong> dénégation : <strong>de</strong> «␣ tels comptes, pour leur peu d’efficacité, ne<br />

méritent le nom d’histoires 28␣ ». Les contraintes <strong>de</strong> l’édition ajoutent à cette liste<br />

<strong>de</strong>s pièces initiales le privilège du roi et surtout diverses références <strong>aux</strong> aléas <strong>de</strong><br />

l’imprimerie, comme, dans l’édition <strong>de</strong>s Discours <strong>de</strong>s champs faëz <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Taillemont chez Michel du Bois à Lyon en 1553, une longue liste <strong>de</strong>s «␣ fautes<br />

trouvées au present livre après l’impression 29␣ ». Jusqu’au cœur du XVII e siècle, les<br />

recueils qui peuvent s’i<strong>de</strong>ntifier au genre narratif bref reprennent ce schéma : on<br />

peut citer le Chasse-Ennuy <strong>de</strong> Louis Garon (1628) ou les Contes <strong>aux</strong> heures perdues<br />

du Sieur d’Ouville (1633 à 1643).<br />

Les résumés placés par Adrien <strong>de</strong> Thou au début <strong>de</strong> chaque <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong><br />

l’Heptaméron sont, on le voit, conformes à la pratique éditoriale <strong>de</strong>s recueils <strong>de</strong><br />

récits brefs 30. Ils participent, comme les autres éléments du paratexte, <strong>de</strong>s procédures<br />

<strong>de</strong> décrochage par rapport au vécu pour introduire à l’espace narratif et<br />

installer la fiction. C’est une fonction qu’ils partagent avec les genres or<strong>aux</strong> où le<br />

narrateur ne manque pas <strong>de</strong> signaler, par <strong>de</strong>s formules <strong>de</strong> prélu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> clôture, la<br />

disjonction entre le mon<strong>de</strong> fictif et le contexte <strong>de</strong> la narration. <strong>La</strong> complexité <strong>de</strong>s<br />

procédures d’encadrement <strong>de</strong>s récits découle <strong>de</strong>s contraintes propres à l’écrit qui<br />

impose <strong>de</strong> suppléer à ce qu’il est superflu <strong>de</strong> préciser en performance orale : le<br />

contexte <strong>de</strong> la narration 31. À cet égard, le génie <strong>de</strong> Boccace dans le Décaméron est<br />

d’avoir créé avec l’histoire-cadre qui structure étroitement les <strong>nouvelle</strong>s, une situation<br />

d’oralité feinte comme prétexte à ses récits. Le prologue où se détaillent<br />

les indications <strong>de</strong> la mise en scène <strong>de</strong> l’activité conteuse est relayé, en fin <strong>de</strong> récit<br />

et surtout en fin <strong>de</strong> journée, par <strong>de</strong>s transitions dévolues <strong>aux</strong> autres loisirs <strong>de</strong>s<br />

narrateurs et <strong>de</strong>visants. Chants, danses et festins accompagnent les conversations<br />

et les narrations et leur servent d’écrin. <strong>La</strong> répétition <strong>de</strong> ces séquences narratives<br />

d’encadrement crée un effet <strong>de</strong> ritualisation que l’on retrouve dans la<br />

plupart <strong>de</strong>s recueils qui reprennent le principe <strong>de</strong> l’histoire-cadre, notamment<br />

dans l’Heptaméron.<br />

Sans rompre avec le cérémonial, les modifications apportées par Marguerite <strong>de</strong><br />

Navarre au prologue et <strong>aux</strong> transitions gomment ce qui a trait <strong>aux</strong> divertissements<br />

et instaurent la rigueur d’une structure quasi abstraite où l’épilogue d’une<br />

journée répond à son prologue 32. Surtout, le principe resté implicite dans le modèle<br />

boccacien, celui d’inscrire le récit dans le discours, c’est-à-dire les conversations<br />

et les débats, est chez elle développé dans les échanges <strong>de</strong>s <strong>de</strong>visants à l’issue<br />

<strong>de</strong>s narrations, au point que ces lieux <strong>de</strong> confrontation <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue<br />

constituent les instances où se joue la signification <strong>de</strong> l’œuvre. Le propre <strong>de</strong>s<br />

recueils qui s’attachent au principe <strong>de</strong> l’histoire-cadre, est <strong>de</strong> ne pas dissocier les<br />

éléments qui la composent <strong>de</strong>s récits encadrés. Le prologue n’est pas hors-texte,<br />

mais consubstantiel à ce <strong>de</strong>rnier, une <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> ce méta-récit étant <strong>de</strong><br />

remettre en cause un cloisonnement étanche <strong>de</strong>s instances narratives puisqu’il a<br />

pour objet d’instaurer la circularité <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> narrateur et <strong>de</strong> <strong>de</strong>stinataire 33.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!