La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

CÉDRICK FAIRON 441
cette symétrie serait l’expression d’un équilibre entre deux forces divergentes. Deux
tendances s’expriment dans le discours, chez celui qui parle, tendance à se répéter ; il
emploierait volontiers un nombre réduit de mots, désignant, par paresse de chercher
le mot propre, une foule d’objets différents par le même terme «␣ chose␣ », «␣ machin␣ » ;
par contre, l’auditeur demande le maximum de précision, il voudrait, lui, un mot
différent pour chaque chose différente. Entre ces deux exigences […] s’établirait un
équilibre que traduirait l’équation : fr =␣ c 34 .
CONCLUSION
En 1994, René Godenne constatait : «␣ Rien, hélas, n’a fort changé depuis vingt
ans… 35 » ; c’était dans l’avant-propos présentant la réédition de son ouvrage consacré
à la nouvelle. La même année, Vincent Engel admettait qu’il était encore trop
tôt, «␣ aux prémisses de l’Année Nouvelle, pour donner une définition pointue de la
nouvelle 36 ␣ ». Force est d’admettre, au terme de cette recherche, que nous ne sommes
pas, nous non plus, parvenu à circonscrire avec netteté ce genre si réfractaire à
la classification. Cependant, nous retiendrons de cette réflexion quatre pistes qui
méritent d’être envisagées dans des études plus larges : l’importance de l’anaphore
et de la coordination dans les nouvelles (ce que nous avons rapproché de la notion
d’économie) ; la richesse lexicale des nouvelles (reflet possible d’une «␣ perfection
d’écriture␣ ») ; l’importante présence des formes de la première personne (phénomène
déjà évoqué par les théoriciens du genre) ; enfin, la fréquence des démonstratifs
qui pourraient eux aussi participer à l’architecture du texte.
Cette étude a quelque peu souffert des limitations du logiciel Hyperbase. Si ses
performances sont indéniables pour l’étude statistique de corpus, des obstacles se
dressent rapidement quand on tente d’étudier des classes grammaticales et des unités
linguistiquement pertinentes plutôt que de simples formes de mots (tokens).
Nous entreprendrons prochainement une étude similaire à celle que nous avons
présentée à l’aide d’un autre logiciel qui permet des analyses plus fines et
linguistiquement pertinentes grâce à l’utilisation de vastes ressources linguistiques :
le logiciel INTEX 37 développé par Max Silberztein au LADL 38 . Les ressources linguistiques
disponibles sont de trois types : des ressources lexicales à très large couverture
(dictionnaires électroniques), des bibliothèques de graphes pour la description syntaxique
39 et les bases de données du lexique-grammaire (disponible à partir de la
version 4.2 du logiciel). Grâce aux outils statistiques conçus par Jean Senellart pour
le logiciel INTEX, il est maintenant possible de procéder à toutes les analyses statistiques
traditionnelles à partir de données recueillies avec INTEX. La combinaison
des outils informatiques permettant l’analyse linguistique 40 et des outils permettant
le traitement statistique devrait offrir de nouvelles perspectives pour notre étude et
surtout, beaucoup plus de flexibilité et de précision.
Cédrick FAIRON
LADL, Université de Paris 7