La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET PHOTOGRAPHIE
graphie jamais faite. En revanche, ce qui reste c’est justement un souvenir de
cette scène, et une mise en scène de ce souvenir, fruits de l’absence de photo.
Dans le cas de Garat, l’idée qu’un texte a pu remplacer la photo s’impose non
seulement comme thème, mais aussi sous la forme d’un texte à part,
typographiquement décalé, poétiquement condensé, figurant la découpe quadrangulaire
de la photographie en même temps que la fenêtre qui avait servi à
encadrer la scène en question.
Qu’en est-il donc de l’instant dans ces deux textes ? Dans chaque cas, l’instant
au sens fort, crucial, correspond au moment de la saisie d’une image : image
photographique chez Guibert, mémorielle mais toujours quasi-photographique
chez Garat. On ne s’étonnera donc pas que l’instant prenne valeur d’épiphanie,
car l’instant photographique par excellence n’est-il pas justement ce point condensé,
tant décrié par la critique contemporaine, ce «␣ stigmé extatique␣ » dans lequel,
selon J.-M.␣ Schaeffer, «␣ le temps s’abolirait, serait sauvé, transvasé dans l’éternité
du “maintenant” 16 » ? En captant une image de sa mère «␣ au summum de sa
beauté 17 ␣ », par exemple, le jeune Guibert croit avoir arrêté le temps et le vieillissement.
Et sa joie sera d’autant plus forte qu’il a l’impression d’avoir capturé cette
beauté à l’insu de son père, en éludant la censure paternelle – d’où une valeur
ajoutée d’«␣ image interdite 18 ␣ ». Dans «␣ Méduse␣ » de Garat, l’épiphanie correspond
de nouveau à un arrêt propice et transfiguratif du temps : «␣ J’assiste au spectacle
qui condense cet après-midi d’été en un cadre parfait, un instant de pure ressemblance.
Au centre de la photographie interdite 19 ␣ ». Cette dernière précision suffit
pour indiquer que, chez Garat comme chez Guibert, la valeur épiphanique de
l’instant se fonde en partie sur le sentiment d’avoir triomphé d’un acte de censure
: acte attribuable ici aux deux parents. En somme, l’instant épiphanique, tel
qu’on le rencontre dans ces deux textes, s’ancre dans une situation narrative,
tout en tendant vers un statut poétique.
Mais l’arrêt de l’instant ne s’arrête pas là. Chez nos deux auteurs, l’instant fort
s’avère être, dans sa densité même, ambivalent, double, divisé, à la fois épiphanie
et catastrophe. Autrement dit, chaque texte se laisse marquer par le travail de
mort de la représentation photographique. La mère de Guibert, captée au summum
de sa beauté, est «␣ majestueuse␣ », adjectif qui conduit l’écrivain à la comparer
plus exactement à «␣ une reine avant une exécution capitale 20 ␣ ». Il admet
d’ailleurs lui avoir mis, pour certaines photos, un grand chapeau de paille, qui
était pour lui «␣ le chapeau de l’adolescent de Mort à Venise 21 ␣ », et qu’il portait
parfois lui-même. Toujours sous le signe de la mort, des effets de sens narcissiques,
homosexuels et incestueux se conjuguent pour mieux marquer l’implosion
du désir lui-même.
Chez Garat, l’ouverture à la catastrophe se reflète directement dans la
métaphorisation en Méduse des anguilles, ou plutôt d’une anguille en particulier,
«␣ une grosse […], une mère, grasse, méchante 22 ␣ ». Dans L’Odyssée d’Homère,
non seulement Méduse garde-t-elle l’entrée au royaume des Morts, son regard