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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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382<br />

LA NOUVELLE ET LE TEXTE DRAMATIQUE<br />

«␣ Des journées entières dans les arbres␣ » confirme «␣ Le square␣ » : la théâtralité<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> avoue que le discours indirect est impensable, que le langage du<br />

narrateur ne peut porter le langage du personnage, et qu’aucune parole ne peut<br />

être représentée. C’est pourquoi la théâtralité <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> durassienne est un<br />

nœud <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> parole.<br />

Le silence <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Vercors se présente différemment. Rappelons rapi<strong>de</strong>ment<br />

que, dans Le silence <strong>de</strong> la mer, un officier allemand tente <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r la famille<br />

qui «␣ l’héberge␣ » <strong>de</strong>s bons sentiments <strong>de</strong> l’Allemagne envers la France. Les <strong>de</strong>ux<br />

habitants <strong>de</strong> la maison, un oncle et sa nièce, refusent obstinément <strong>de</strong> parler ou<br />

même <strong>de</strong> répondre à l’officier allemand ; silence complet. Celui-ci en retour s’obstine<br />

avec une courtoisie exemplaire à les conquérir. Il y parviendra presque 38 . <strong>La</strong><br />

pièce est très proche <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>. Celle-ci a déjà <strong>de</strong>s caractéristiques <strong>de</strong> la dramaturgie<br />

classique : <strong>de</strong>ux parties comme <strong>de</strong>ux actes, <strong>de</strong>s chapitres brefs comme<br />

<strong>de</strong>s scènes à l’intérieur <strong>de</strong> chaque partie, un espace intérieur unique et clos 39 .<br />

Mais ce qui nous importe c’est qu’encore une fois le diptyque <strong>nouvelle</strong>-pièce est<br />

tourné vers la question <strong>de</strong> la parole.<br />

C’est un <strong>de</strong>s personnages, l’oncle, qui est le narrateur ; un narrateur à la première<br />

personne, qui n’est ni démiurge ni omniscient. Il est essentiellement un<br />

observateur témoin qui note ce qu’il voit et entend. Il lui arrive aussi <strong>de</strong> révéler<br />

ses pensées intérieures ou <strong>de</strong> les trahir dans la narration en manifestant son émotion,<br />

son affectivité, ses accords ou ses désaccords avec l’officier allemand 40 . L’oncle-narrateur<br />

ne parle donc jamais en tant que personnage, mais grâce à son écriture<br />

on sait qu’il se considère comme un humaniste. L’unique personnage totalement<br />

silencieux, <strong>de</strong> plume et <strong>de</strong> parole, est la jeune fille dont on pressent à la fin<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, que son opposition résolue du début a été ébranlée par l’officier,<br />

et qu’elle a été séduite, voire convaincue par l’occupant. Dans ce cadre <strong>de</strong> discours<br />

et <strong>de</strong> silence la théâtralité <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> se met en œuvre <strong>de</strong> plusieurs manières.<br />

<strong>La</strong> première caractéristique tient à l’absence <strong>de</strong> sommaire 41 qui fasse le point<br />

sur la situation historique et politique en France, afin d’éclairer l’action 42 . Pas un<br />

mot non plus sur l’existence même <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> l’oncle et <strong>de</strong> sa nièce :<br />

leur passé, leur origine, la singularité non expliquée <strong>de</strong> cette situation familiale.<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> est exclusivement engagée par l’immédiateté <strong>de</strong>s personnages quand<br />

ils sont en présence les uns <strong>de</strong>s autres.<br />

En second lieu les phénomènes <strong>de</strong> langage sont expressément soulignés : le<br />

narrateur se comporte comme un véritable metteur en scène dont le propre corps<br />

ainsi que celui <strong>de</strong> sa nièce sont décrits comme <strong>de</strong>s substituts au langage verbal ;<br />

<strong>de</strong> même les regards remplacent les mots. C’est donc en creux que la parole est<br />

valorisée et le lecteur en ce sens est déjà un spectateur 43 qui interroge le silence<br />

<strong>de</strong>s corps. Enfin l’officier allemand se révèle entièrement par sa parole : son discours<br />

est un long monologue <strong>de</strong> six mois (!) construit thématiquement avec une

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