La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE, UNE FORME POÉTIQUE ?
Pourrait-on suggérer davantage en quatre paragraphes auxquels rien ne manque
? Ni l’évocation du cadre spatial (une pièce dont la cloison mince trahit la vie
contiguë, la fenêtre donnant sur le dehors et l’oiseau) ni celle du cadre temporel
(l’attente du matin) ; les protagonistes : elle (jamais définie, si ce n’est par son
attitude et par le mot «␣ pardon␣ » comme un aveu de faute) et la voix narrative qui
évoque un passé perdu, un présent cruel, surtout un avenir inimaginable ; l’intensité
dramatique voire pathétique ; les références culturelles à Boudin et Dostoïevski,
à Prévert ; le naturel des différents modes d’expression alliant l’ellipse
poétique à l’exclamation familière, le monologue intérieur reflétant le bouleversement
intime aux touches impressionnistes suggérant l’atmosphère, en passant
par le recours au refrain. Émotion, mémoire en travail, simultanéisme et sensations
très concrètes. Représentation ou plutôt instantanéisation du mystère des
relations humaines, des blessures inguérissables.
Nouvelle ou poème ? Vous remarquerez qu’au lieu de vous en donner le texte
écrit, j’ai préféré la lecture à voix haute, tant la nouvelle poétique comme le
poème supportent, requièrent même l’oralité.
DU POÈME À LA NOUVELLE
Depuis Jakobson, nous percevons mieux la spécificité de la fonction poétique :
«␣ La visée du message en tant que tel, l’accent mis sur le message pour son propre
compte␣ ». Nous savons combien cette mise en valeur des signes verbaux pour
eux-mêmes est présente dans les slogans publicitaires aussi bien que dans les jeux
d’enfant ou d’esprit. Dès lors nous avons cessé d’enfermer la poésie dans un domaine
réservé et nous l’avons traquée, très légitimement, dans les autres genres
littéraires – ici, dans la nouvelle.
Comment mettre à jour ce qui se joue sous les mots et entre eux, percevoir le
détonateur ? «␣ Je me retourne / Le lilas est en fleur␣ ». Deux vers de Gilbert Trolliet
qui me hantent et m’enchantent depuis longtemps, deux silex frottés l’un contre
l’autre. La juxtaposition d’un geste élémentaire et d’un état de la nature. Un je
sujet agissant et l’évidence d’un objet végétal. Rien que cela et l’étincelle jaillit, le
feu de la poésie prend. La polysémie nous entraîne : est-ce mon geste qui provoque
la floraison ? Est-ce mon attention qui la fait exister ? Ce retournement est-il
conversion ou prise de pouvoir sur un spectacle interdit ? Orphée perdra-t-il Eurydice
? Répété, le distique n’en continue pas moins à produire son effet, à provoquer
l’imaginaire.
Élargissons l’expérience, passons du distique au poème perçu comme embryon
de nouvelle, celui de Jean Follain «␣ Les enfants 3 ␣»:
Les enfants jouent au théâtre
jusqu’à l’heure
du souper dans la nuit qui vient
alors les grandes personnes les appellent