La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

RENÉ GODENNE 493
Le troisième, J.␣ de La Varende, recourt à une étiquette qui lui sera personnelle :
«␣ suite romanesque␣ », emblème de cinq de ses recueils :
[…] pour moi, la suite romanesque est une série, une suite de contes et de nouvelles sur
le même sujet, ou, du moins, dans la même tendance de recherche et de mise en
valeur. Des fiches, qui prétendent au ROMAN, qui en ont la gravité mais non la
lourdeur. (Bric à brac, suite romanesque, 1952, note au verso).
C’est un même propos qui guide d’autres quand ils se fixent sur le seul mot de
«␣ suite␣ » au sens évident de composition musicale faite de morceaux de même
tonalité (A. Arnoux, Suite variée, 1925 ; J.␣ Bogliolo, Mon bled, nouvelles «␣ suite algérienne␣
», 1940 ; J.␣ Proal, Suite montagnarde, nouvelles, 1948 ; S.␣ Lévesque, Les cloisons,
suite de nouvelles, 1979 ; J.␣ Cerdelli, Les chiens sauvages, «␣ suite de nouvelles
comiques␣ », 1993…), quand ils choisissent les termes de «␣ triptyque␣ » (C. Bourgeois,
Triptyque, 1959), de «␣ trilogie␣ » (J.-L. Delande, Le sorcier de la brume (trilogie),
contes fantastiques, 1981 ; G.␣ Barrière, Dérapage et autres nouvelles, 1989 : «␣ […]
cette trilogie de nouvelles illustre avec acuité de singuliers portraits de femmes␣ »),
de «␣ chronique␣ » au singulier (K. Kaboke, Chronique katangaise, 1976…). Le recueil-ensemble
devient une pratique courante dans la seconde moitié du XX e siècle.
Tel chez J.␣ Rousselot («␣ Une nouvelle intercalaire […] et une nouvelle finale
[…], l’une et l’autre à la fois réalistes et imaginaires, donnent à l’alternance voulue
par l’auteur toute sa signification et assurent l’unité du livre␣ », Les heureux de
la terre, 1957, notice au verso), chez N.␣ Devaulx :
Le livre construit à la manière d’un château du Moyen Âge : trois récits longs et
circonstanciés se dressent comme trois tours occultes, dominant de leur ombre huit
contes brefs qui donnent à l’ensemble son rythme de base (Le lézard d’immortalité,
récits, 1977, notice au verso) – Si j’ai voulu mêler un ingrédient plus léger à mes
préparations habituelles, c’est dans l’espérance de t’aider, ami lecteur, à survoler les
pesanteurs, les aigreurs quotidiennes. Cet ingrédient, tu le verras, ce sont quelques
poèmes qui, selon moi, ménagent entre deux contes comme une reprise du souffle,
une respiration plus profonde. (Capricieuse Diane, contes allégés, 1989, avant-propos).
Les nouvellistes de la fin du XX e siècle sont d’autant plus enclins à concevoir
les choses de la sorte que leurs textes sont moins prépubliés, je le rappelle. La
réflexion de J.-C. Duchon-Doris, en 1994, vaut son pesant d’or : «␣ Je n’ai jamais
rédigé de nouvelles. J’ai seulement commis deux recueils et la nuance est importante
18 ␣»!
Pour réaliser un ensemble, les nouvellistes ont le choix entre plusieurs procédés
(conjoints ou non) :
– faire intervenir un même personnage, un même «␣ je␣ » dans les textes :
«␣ Cette suite de récits […] doit son unité au retour des mêmes personnages.␣ »
(P.-A. de Bock, Terres basses, récits, 1953), la Chronique katangaise de K. Kaboke