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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE ANTILLAISE CONTEMPORAINE<br />

traditionnellement par rapport, sinon par opposition au conte. Or, le rapport que<br />

l’on établit entre ces <strong>de</strong>ux genres est fondé, entre autres, sur la différence entre<br />

un récit qui met en valeur la dimension orale et immédiate <strong>de</strong> la narration, d’une<br />

part, c’est-à-dire le conte ; d’autre part, un récit qui travaille bien plutôt la médiation<br />

par l’écriture, c’est-à-dire la <strong>nouvelle</strong>. Certes, le XIX e siècle privilégie, comme<br />

l’on sait, l’appellation «␣ conte␣ » sans l’opposer en rien à celui <strong>de</strong> «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ ».<br />

Mais justement René Go<strong>de</strong>nne explique ce flou terminologique par la place prépondérante<br />

accordée dans les <strong>nouvelle</strong>s du XIX e à la parole d’un narrateur ; autrement<br />

dit, par le fait que l’écriture <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> conserve ou restitue au siècle <strong>de</strong><br />

Maupasssant le ton du «␣ conteur␣ ». «␣ L’intention, poursuit Go<strong>de</strong>nne, est presque<br />

toujours annoncée dans les premières pages <strong>de</strong>s récits par la présence <strong>de</strong>s verbes<br />

“conter” ou “raconter” 8 ».<br />

Il me semble important <strong>de</strong> préciser également que, <strong>de</strong> par ses racines plongées<br />

dans la tradition orale, le conte est à l’origine une création collective, laquelle<br />

met en valeur <strong>de</strong>s «␣ histoires venues du fonds commun, <strong>de</strong> l’imaginaire collectif<br />

9 ␣ ». Autrement dit, bien plus que la <strong>nouvelle</strong>, et même, pourrait-on dire, par<br />

opposition à la <strong>nouvelle</strong>, le conte se situe du côté <strong>de</strong> la tradition et du collectif,<br />

plutôt que du côté <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité et <strong>de</strong> l’individualisme.<br />

Or, la <strong>nouvelle</strong> caribéenne, telle qu’elle se donne à lire dans le recueil que j’ai<br />

signalé, mais aussi telle qu’elle se présente en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ce recueil, ne cesse pas <strong>de</strong><br />

mettre en relief la tradition orale que l’on associe plus volontiers au conte, et cela<br />

sur plusieurs plans. Elle renchérit, pour commencer, sur ce que René Go<strong>de</strong>nne a<br />

appelé «␣ le ton <strong>de</strong> ce qui est parlé 10 ␣ », le plus souvent en soulignant l’énonciation<br />

du narrateur. Bien plus encore, elle fait très souvent <strong>de</strong> la parole le sujet même, le<br />

contenu même <strong>de</strong> l’histoire. En cela, la <strong>nouvelle</strong> caribéenne n’est pas différente<br />

du roman caribéen. Simplement, l’histoire <strong>de</strong>s genres littéraires fait que la mise<br />

en valeur dans la <strong>nouvelle</strong> antillaise <strong>de</strong> la tradition orale ainsi que du personnage<br />

et <strong>de</strong> la parole du conteur se présente très précisément comme une question <strong>de</strong><br />

genre, en ce qu’elle focalise la différence traditionnellement perçue entre la <strong>nouvelle</strong><br />

et le conte, fragilisant ainsi l’un <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la spécificité générique<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>.<br />

Comme l’on s’y attendrait, c’est au niveau <strong>de</strong> l’intrigue même que plusieurs<br />

<strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s d’Écrire la «␣ parole <strong>de</strong> nuit␣ » mettent en valeur la force <strong>de</strong> la parole.<br />

Par exemple, dans le texte <strong>de</strong> Patrick Chamoiseau, intitulé «␣ Le <strong>de</strong>rnier coup <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>nt d’un voleur <strong>de</strong> banane␣ », le pouvoir <strong>de</strong> la parole est à la fois le thème principal<br />

<strong>de</strong> l’histoire et le moteur principal <strong>de</strong> toute l’intrigue. Par conséquent, nous<br />

relevons dans cette <strong>nouvelle</strong> un métadiscours très étendu sur la parole du narrateur<br />

ainsi que sur celle du personnage principal <strong>de</strong> l’histoire, un dénommé Cestor :<br />

«␣ Mais je parle je parle, et je ne dis pas la parole, et c’est toujours ça quand il faut<br />

décrire ce Cestor Livenaj 11 ␣».<br />

Lorsque le narrateur en vient à évoquer la parole <strong>de</strong> Cestor, il la décrit comme<br />

suit :

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