03.07.2013 Views

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

14<br />

LA NOUVELLE À L’ÉPREUVE DU ROMAN MÉDIÉVAL<br />

la simple distraction, même si l’intérêt, le «␣ piquant␣ » <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> est souvent<br />

allégué pour justifier sa relation 23 . <strong>La</strong> lecture est souvent «␣ intéressée␣ »<br />

idéologiquement. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> est ainsi source d’enseignement, intra- ou<br />

extradiégétique ; elle est d’ailleurs adressée tantôt <strong>aux</strong> protagonistes <strong>de</strong> la diégèse,<br />

tantôt <strong>aux</strong> lecteurs <strong>de</strong> l’œuvre – en fait forcément <strong>aux</strong> <strong>de</strong>ux, même lorsque ce<br />

n’est pas explicite dans le texte. Au niveau intradiégétique, le fait que la plupart<br />

<strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s relatent <strong>de</strong>s cas amoureux peut contribuer à l’apprentissage sentimental<br />

du Chevalier. En outre, plusieurs héros <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s peuvent être perçus,<br />

à un titre ou un autre, comme <strong>de</strong>s doubles fantasmatiques du Chevalier. Bien<br />

souvent toutefois, la <strong>nouvelle</strong> se conclut sur une sentence plus ou moins proverbiale<br />

qui par son caractère général révèle une visée extradiégétique. L’histoire <strong>de</strong><br />

Grisilidis, «␣ mirouer <strong>de</strong>s dames mariées␣ » (titre du ch. 267, emprunté à Philippe<br />

<strong>de</strong> Mézières), est édifiante à tous nive<strong>aux</strong>. Les sujets du marquis <strong>de</strong> Saluces entrevoient<br />

<strong>de</strong>rrière la réalité conjugale une intention divine :<br />

[…] pluseurs cuidoient que elle [Grisilidis] feust envoiée <strong>de</strong>s Cieulz au salut du commun<br />

et bien publique. (ch. 269, f° 140b).<br />

Les auditeurs <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> sont impressionnés au point qu’ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />

ultérieurement au Chevalier <strong>de</strong>s éclaircissements sur le comportement, apparemment<br />

choquant, <strong>de</strong> Gautier <strong>de</strong> Saluces (ce qui déclenche le récit <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />

Guillaume <strong>de</strong> Saluces, père du précé<strong>de</strong>nt) 24 . Enfin, la conclusion morale du ch.<br />

274 (elle aussi textuellement empruntée à Philippe <strong>de</strong> Mézières) fait <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong><br />

une parabole <strong>de</strong> type évangélique dont le message vaut pour l’humanité<br />

entière, c’est-à-dire pour tous les lecteurs, hommes ou femmes, appelés à imiter<br />

en bons chrétiens l’exemple <strong>de</strong> Grisilidis pour savoir rester fermes dans l’adversité<br />

:<br />

Et est assavoir que ceste histoire a esté escripte en la mémoire <strong>de</strong>s honneurs, et non<br />

tant seulement afin que les matrosnez et dames <strong>de</strong> nostre temps doient ensuir la<br />

pacience <strong>de</strong> ceste noble dame, laquelle pacience semble aussi comme impossible a<br />

porter. C’est assavoir que ce que elle fist a son mari <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> pacience, eulz le<br />

vueillent faire a Dieu combien que Dieu ne tempte pas les gens, selon ce que dist<br />

Saint Jaques l’Appostre, comme le fist le marquis son espouse ; mais aucune foys les<br />

veult esprouver, et conssent que nous ayons souvent adversité par mainte tribulacion<br />

[…]. il savoit clerement que nous <strong>de</strong>vions estre, mais il sueffre a ce que par les<br />

tribulacions continuellez nostre propre fragilité nous soit monstrée et <strong>de</strong> nous bien<br />

congneue (ch. 274, f os 144a-b).<br />

Cette histoire, ainsi que d’autres dans le <strong>Livre</strong> du Chevalier errant, implique un<br />

autre enjeu idéologique <strong>de</strong> la lecture, qui tient spécifiquement à la famille <strong>de</strong><br />

Saluces : comme le signalent les noms <strong>de</strong> certains protagonistes, les histoires <strong>de</strong><br />

Grisilidis, <strong>de</strong> Guillaume et <strong>de</strong> Richar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saluces et même d’Alerain mettent en<br />

scène <strong>de</strong>s membres, historiques ou fictifs, anciens ou récents, <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!