La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

436 LA STATISTIQUE LEXICALE AU SECOURS D’UNE DÉFINITION DE LA NOUVELLE
la recherche). Cette hypothèse a par ailleurs été renforcée par une analyse de la
connexion lexicale, étape que nous n’aborderons pas ici 8 .
Le graphique met en évidence une répartition non aléatoire des formes de la
première personne (qui se situent à gauche, avec les nouvelles) et des possessifs
(qui se concentrent dans l’entourage du recueil Les préférés). Nous ne nous attarderons
pas sur la question des possessifs, car les analyses qui en ont découlé n’ont
pas abouti à des conclusions qui ressortissent à notre propos 9 . Pour ce qui est de
la première personne, remarquons simplement qu’il s’agit d’un phénomène régulièrement
mis en avant par les théoriciens : pour René Godenne, «␣ la nouvelle
est souvent un récit conté, soit qu’elle implique la présence d’un “je” qui s’adresse
à un ou des auditeurs, voire au lecteur, soit qu’elle témoigne de la présence constante
de l’auteur qui confère à son récit un cachet oral 10 ␣ ». Daniel Grojnowski, à
la recherche d’une définition pour la nouvelle, parle lui aussi du «␣ caractère oral
du récit qui est raconté soit à la première personne, soit par l’intermédiaire d’un
personnage mis en scène dans un premier temps 11 ␣ ». La spécificité de notre corpus,
limité à un auteur, nous empêche de dépasser le stade de la simple constatation.
On se contentera donc de formuler à titre de conclusion l’hypothèse suivante
: les formes de la première personne connaissent un plus grand succès (ou
un déficit moins important) dans les nouvelles que dans les romans alors que le
phénomène inverse est constaté pour les deuxième et troisième personnes.
Une autre observation nous semble plus intéressante. Elle concerne la position
de car et cependant 12 sur le graphique. Position qui laisse supposer que ces mots
appartiennent aux nouvelles plus qu’aux romans et que le recueil De très petites
fêlures compte plus d’occurrences que Les préférés, ce que confirment les données
numériques 13 . La présence marquée de ces formes dans les nouvelles doit cependant
être interprétée avec prudence, car le nombre d’occurrences dans le corpus
est relativement limité (car : 40 occurrences ; cependant : 37 occurrences).
Bien qu’ils le fassent chacun à leur manière, les éléments car et cependant ont
en commun d’établir un lien avec ce qui précède dans la phrase : car étant une
conjonction de coordination 14 et cependant un adverbe que l’on qualifie
d’anaphorique ; c’est-à-dire un adverbe qui établit un lien avec ce qui précède
dans le discours 15 .
Cette constatation peut, sans doute, être éclairée par la théorie du «␣ petit genre␣ »,
comme l’appelle ironiquement Gilles Pellerin. Il n’est pas rare que les théoriciens
et même les nouvellistes fassent appel à la notion d’«␣ économie␣ » ou encore de
«␣ resserrement dans l’exposition␣ ». René Godenne, au terme d’un de ses ouvrages
16 , conclut que la nouvelle est «␣ un récit rapide, resserré␣ » et que ce resserrement
dans l’exposition entraîne, entre autres, «␣ une manière de concentrer la
matière anecdotique␣ » et de «␣ structurer nettement le récit␣ ». Les nouvellistes, en
proposant leurs définitions de la nouvelle, dans le recueil intitulé 131 nouvellistes
contemporains par eux-mêmes 17 , ont également souligné cette tendance à l’économie.
À Bérengère Deprez de préciser, dans son Petit zodiaque du nouvelliste contem-