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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN-MICHEL WITTMANN 179<br />

mains d’une servante qui porte un enfant illégitime dans le premier cas, et dans<br />

le second, comment recréer chez soi le milieu où l’on a toujours vécu et d’où l’on<br />

a été chassé, et finalement intégrer la logique administrative qui a abouti au renvoi<br />

? L’une et l’autre <strong>nouvelle</strong> commencent par l’exposition d’une crise, ouverte<br />

dans Un dilemme par la mort <strong>de</strong> Jules, dans <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran par la<br />

mise à la retraite anticipée <strong>de</strong> M.␣ Bougran, à laquelle les quelques actions subséquentes<br />

visent, le plus souvent directement, à donner une issue. L’efficacité narrative<br />

du récit, qui respecte scrupuleusement le principe <strong>de</strong> l’économie, trouve<br />

son accomplissement dans la pointe finale vouée, dans les <strong>de</strong>ux cas, à parfaire la<br />

clôture du texte. Le bref dialogue final d’Un dilemme, commentaire <strong>de</strong> maître Le<br />

Ponsart et <strong>de</strong> son gendre sur la mort <strong>de</strong> la servante et <strong>de</strong> l’héritier à venir, qui<br />

donne l’occasion d’une ultime charge satirique contre cette bourgeoisie impitoyable<br />

dans la défense <strong>de</strong> ses biens, répète la clôture déjà réalisée par la démarche<br />

fructueuse <strong>de</strong> maître Le Ponsart, au terme <strong>de</strong> laquelle la pauvre servante doit<br />

<strong>de</strong> facto renoncer à toute prétention testamentaire. Quant à la fin <strong>de</strong> <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong><br />

monsieur Bougran, elle répète le début <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, puisque le lecteur apprend<br />

le rejet, par Bougran lui-même, du pourvoi qu’il a formé contre la décision <strong>de</strong> sa<br />

mise à la retraite. Et comme si la <strong>nouvelle</strong> n’était pas suffisamment close par la<br />

correspondance entre la première scène et la <strong>de</strong>rnière, Huysmans va jusqu’à placer<br />

entre les mains <strong>de</strong> Bougran mort, la lettre qui fait part <strong>de</strong> cette décision<br />

négative !<br />

Mais si ces machines narratives au ren<strong>de</strong>ment impeccable peuvent décevoir,<br />

c’est justement parce que l’économie <strong>de</strong> moyens et l’efficacité narratives qui font<br />

<strong>de</strong> ces textes d’excellentes <strong>nouvelle</strong>s excluent par définition les dysfonctionnements<br />

provoqués et en partie contrôlés, propres <strong>aux</strong> romans <strong>de</strong> Huysmans dont<br />

elles sont contemporaines. Statiques, anti-romanesques ou, tout du moins, antinarratifs<br />

à bien <strong>de</strong>s égards, <strong>de</strong>scriptifs à l’excès et parfois bavards, <strong>de</strong>s romans<br />

comme À rebours, En ra<strong>de</strong> ou Là-bas interrogent le genre romanesque et ten<strong>de</strong>nt à<br />

le renouveler. Rien <strong>de</strong> tel dans les <strong>nouvelle</strong>s, dont on pourrait être tenté <strong>de</strong> dire<br />

qu’elles sont trop parfaites pour être vraiment réussies. À les lire, à voir la manière<br />

dont Huysmans souligne ses effets, <strong>de</strong> manière presque insistante, l’idée<br />

s’impose qu’il maîtrise l’usage qu’on peut faire <strong>de</strong> ce genre court. Un bel outil,<br />

plus limité que le roman, mais efficace dans un certain contexte et sans doute<br />

pour dire certaines choses, telle apparaît la <strong>nouvelle</strong>, sous sa plume ; une sorte<br />

d’équivalent littéraire du couteau suisse, en somme, instrument rudimentaire,<br />

<strong>aux</strong> usages multiples, mais limités et définis.<br />

Avant <strong>de</strong> s’interroger sur ces usages, il convient pourtant <strong>de</strong> souligner qu’il ne<br />

s’agit pas d’œuvrettes <strong>de</strong> circonstance, trop rapi<strong>de</strong>ment achevées pour ne pas être<br />

redoutablement simples et efficaces. <strong>La</strong> similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains matéri<strong>aux</strong> ou <strong>de</strong><br />

certains thèmes, entre les grands romans <strong>de</strong> Huysmans et ses <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s,<br />

tend par elle-même à montrer que l’on est simplement en face <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux genres<br />

suffisamment distincts pour imposer un traitement différent. L’un <strong>de</strong>s rares criti-

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