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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE ET LE TEXTE DRAMATIQUE<br />

directement comme premier acte <strong>de</strong> la pièce : les scènes «␣ ont été, ou créées <strong>de</strong><br />

toutes pièces, ou recomposées à partir d’épiso<strong>de</strong>s presque imperceptibles dans le<br />

roman 49 ␣ ». Et à l’opposé du second acte, le premier acte <strong>de</strong> la pièce, hérité <strong>de</strong> la<br />

<strong>nouvelle</strong>, est d’une construction dramaturgique peu classique : il est constitué<br />

par «␣ une dizaine d’êtres se croisant dans les rues <strong>de</strong> Rome, solitaires, reliés entre<br />

eux seulement par les plus minces ou les plus fortuits <strong>de</strong>s liens, par <strong>de</strong>s nœuds<br />

déjà rompus ou <strong>de</strong>s rapports à peine formés 50 ␣ ». En fait si Yourcenar maintient<br />

malgré tout à l’intérieur <strong>de</strong> la pièce ce cadre non dramatique hérité <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>,<br />

c’est que l’enjeu <strong>de</strong> la théâtralité y rési<strong>de</strong> indépendamment <strong>de</strong> toute structure<br />

dramaturgique. Le projet littéraire du récit était d’atteindre une forme «␣ milyrique<br />

mi-narrative␣ » pour «␣ exhaler l’émotion poétique sous sa forme la plus<br />

subjective 51 ␣ ». Le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> était, sinon une parole, du moins<br />

l’expression <strong>de</strong> la subjectivité, une <strong>de</strong>s caractéristiques essentielles <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong><br />

contemporaine. Si les personnages <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> peuvent être définis comme<br />

<strong>de</strong>s «␣ personnages qui à première vue pourraient sembler échappés d’une commedia<br />

ou plutôt d’une tragedia <strong>de</strong>ll’arte mo<strong>de</strong>rne 52 ␣ » c’est parce que Yourcenar<br />

les inscrit dans la <strong>nouvelle</strong> avec la même autonomie que dans une pièce. Dans la<br />

<strong>nouvelle</strong>, les personnages sont libres lorsque le narrateur s’efface et que la subjectivité<br />

et l’expression intérieure <strong>de</strong> l’individu créé prennent en charge la narration.<br />

Ainsi dans le premier chapitre c’est le mon<strong>de</strong> intérieur <strong>de</strong> Liana Chiari qui<br />

inon<strong>de</strong> tout le récit. Yourcenar atteint alors une énonciation narrative proche <strong>de</strong><br />

l’expression directe du personnage <strong>de</strong> théâtre grâce à la technique du monologue<br />

intérieur 53 et à l’usage qu’elle en fait. Elle précise en effet que le monologue intérieur<br />

«␣ n’est pas <strong>de</strong>stiné, comme c’est presque toujours le cas dans le roman contemporain,<br />

à nous montrer un cerveau-miroir reflétant passivement le flux <strong>de</strong>s<br />

images et <strong>de</strong>s impressions qui s’écoulent 54 ␣ ». Marguerite Yourcenar conserve, à<br />

l’inverse <strong>de</strong>s auteurs anglo-saxons surtout, la structure <strong>de</strong> la personne engagée<br />

dans une action, <strong>de</strong> sorte que le monologue intérieur n’efface pas la «␣ drammatis<br />

personnae␣ », et nous fait «␣ assister␣ » <strong>aux</strong> actes <strong>de</strong> conscience 55 <strong>de</strong>s personnages.<br />

Ici l’individu ne se dilue pas dans son espace <strong>de</strong> mots. Le monologue intérieur<br />

s’affirme ainsi comme le pont entre la <strong>nouvelle</strong> et la pièce : «␣ ces passages monologués<br />

se sont, comme il fallait s’y attendre, multipliés dans Rendre à César␣ » ; et,<br />

<strong>de</strong> même que le monologue intérieur est inséré dans la narration <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>,<br />

«␣ le monologue [intérieur est] inséré au cours d’une conversation␣ » dans la pièce.<br />

Suite à la première version <strong>de</strong> 1933, le récit chemine donc vers le texte dramatique<br />

qui met en lumière sa théâtralité. Tout d’abord dans la secon<strong>de</strong> version du<br />

récit : «␣ En réécrivant Denier du rêve (1959) j’avais remplacé çà et là la narration et<br />

les commentaires <strong>de</strong> l’auteur par <strong>de</strong>s soliloques <strong>de</strong> personnages eux-mêmes␣ » ;<br />

puis la version dramatique accentue ce mouvement puisque c’est «␣ une forme<br />

dans laquelle ces mêmes personnages occupent toute la scène␣ ». On comprend<br />

pourquoi l’auteur juge que le passage <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> à la pièce est une sorte d’accomplissement<br />

<strong>de</strong> ce «␣ parti pris lyrique 56 ␣ ». L’expression verbale intérieure, ici la

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