La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

RENÉ GODENNE 491
Ce sera encore en 1988 cette profession de foi de H.␣ Pevel (Et l’amour vous
aimez ?) : «␣ […] aucune idée préconçue n’a présidé à ces nouvelles␣ ». Que les auteurs
se satisfassent d’intituler les recueils par les seules étiquettes de «␣ nouvelles␣ »,
«␣ contes␣ », «␣ contes et nouvelles␣ »…, non accompagnées d’une ou l’autre épithète
– rien de plus vague ! –, de choisir le plus souvent comme titre général ou le
premier ou le dernier texte, traduit assez le disparate du volume proposé. Disparate
qui est parfois souligné par cette manière de constituer les mots-titres par ces
titres qui ouvrent et qui ferment le recueil (De Goupil à Margot, histoires de bêtes
(1910) de L.␣ Pergaud, Du philanthrope à la rouquine (1945) de H.␣ Troyat, De «␣ Seigneurs
de la plaine␣ » à «␣ L’hôtel de Mondez␣ » (1967) de M.␣ Druon), ou par le choix
du terme de «␣ patchwork␣ » (Patchwork, enfants-crimes et désespoirs (1983) de
J.␣ Vautrin, La vie en bottes, patchwork, nouvelles, 1991, d’A. Bellot…).
Pratiquée à toute époque et par la majorité, cette forme de recueil, fait de «␣ pièces
détachées␣ », incarne aux yeux des lecteurs l’image-type d’un volume qui n’offre
aucun point commun avec le roman, mais, qui, en raison de son absence
d’unité, donne toutes les raisons à ces lecteurs de s’en détourner pour lui préférer
le roman.
TRADITION ET ARCHÉTYPE : LE RECUEIL HOMOGÈNE
Pour publier dans de mêmes conditions leurs recueils, un grand nombre
d’auteurs, surtout du XX e siècle, envisagent tout autrement la notion de recueil (J.
Peyré prévient ainsi dans la préface de Romanesque Tanger, 1943 : «␣ Si ce recueil
porte pour titre celui de la première des nouvelles que j’y réunis, ce n’est pas
seulement pour sacrifier à la coutume…␣ »). Le recueil est cette fois composé, parce
que des liens, lâches ou non, apparents ou non, se tissent entre les textes : unité
de lieu, unité d’époque, unité de personnages, unité de thèmes. Plus qu’une succession
de textes, il s’agit d’une série, voulue, de variations (Variations sur l’imposture,
nouvelles, 1965, de L.␣ Faure, Fantaisies sur les sept péchés capitaux, 1969, de
R.␣ Lemelin), de scènes (Histoires queue de chat (quelques scènes de la vie camerounaise),
1976, de R.␣ Philombe). Dans la préface du Roi au masque d’or (1892),
M.␣ Schwob n’hésite pas à parler de «␣ chaîne d’histoires␣ ». Et les auteurs ne manquent
pas de préciser la nature du recueil, comme pour signifier d’emblée au
lecteur le fossé qui le sépare du recueil hétérogène, et au-delà ce qui le rapprocherait
sans le dire de l’œuvre composée type qu’est le roman (ce lapsus, dans la préface
aux Scènes de la vie noire, 1959, de Ph. Edme, est révélateur : «␣ Voici, enfin, un
livre rare, un roman spécifiquement congolais␣ ») : «␣ [les trois textes] sont comme
les symboles de trois sociétés qui se sont succédé␣ » (Au bord du lac, 1859, de
E.␣ Souvestre), «␣ Ces trois récits sont réunis par le lien de la passion charnelle␣ »
(Corps à corps, 1941, de P.␣ Dominique), «␣ Les malheurs des hommes ne sont pas
limités à une époque. La nagaïka – fouet terrible – qui sert de titre à ce recueil,
pourrait leur servir d’emblème␣ » (La nagaïka, trois récits, 1951, de J.␣ Kessel), «␣ Les