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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET ROMAN DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIII e SIÈCLE<br />

Le Roman, si méprisé <strong>de</strong>s personnes sensées, et souvent avec justice, serait peut-être<br />

celui <strong>de</strong> tous les genres qu’on pourrait rendre le plus utile, s’il était bien manié […] 18 .<br />

Mais, tout en faisant part au lecteur <strong>de</strong> sa conventionnelle envie d’instruire en<br />

amusant 19 , Mariv<strong>aux</strong> formule, en arrière plan, une autre explication <strong>de</strong> l’acte<br />

d’écrire : c’est l’analyse d’un personnage fascinant, avec ses particularités psychologiques,<br />

qui intéresse en premier lieu, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la constitution d’un savoir<br />

universel sur l’être humain. Un mauvais auteur est celui qui «␣ ne saisit pas les<br />

vraies finesses <strong>de</strong> ses sujets, il les peint d’après lui, et non pas d’après eux 20 ␣».<br />

L’écriture <strong>de</strong> Prévost semble traquer, à son tour, la particularité, la différence, et si<br />

ses romans se donnent comme un avertissement sur «␣ l’inconstance ordinaire <strong>de</strong><br />

la fortune 21 ␣ », ils naissent surtout <strong>de</strong> l’admiration pour un personnage, un homme<br />

qui «␣ ait pu trouver assez <strong>de</strong> ressources dans son courage et dans sa vertu pour se<br />

soutenir parmi tant d’agitations 22 ␣ », qui a le cœur formé «␣ d’une certaine façon 23 ␣».<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’obligation d’un enseignement moral, la tâche première du roman<br />

s’avère la création d’un héros et la réflexion sur les mystères et les fluctuations du<br />

Moi.<br />

On est à présent en mesure <strong>de</strong> saisir une partie <strong>de</strong> ce qui, au XVIII e siècle, sépare<br />

les <strong>de</strong>ux genres en prose. Lorsque la <strong>nouvelle</strong> paraît répondre au plaisir <strong>de</strong> colporter<br />

<strong>de</strong>s histoires, le roman satisfait à la passion démiurgique <strong>de</strong> l’auteur. Le conteur<br />

est riche <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits, <strong>de</strong>s aventures connues ; le romancier est<br />

obsédé par un être, travaille à l’avènement d’un personnage. Insistant sur ce qui<br />

s’est passé, attirée en premier lieu par l’extraordinaire <strong>de</strong> la vie courante, la <strong>nouvelle</strong><br />

«␣ oublie␣ » l’unicité <strong>de</strong>s héros mis en scène, ne retenant <strong>de</strong> leur configuration<br />

psychologique que les éléments nécessaires à la compréhension <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Hanté par un individu d’exception, si emblématique qu’il soit – ou qu’on le<br />

désire – <strong>de</strong> toute une catégorie sociale, le roman se consacre, au contraire, <strong>aux</strong><br />

analyses approfondies, au saisissement <strong>de</strong>s nuances les plus subtiles <strong>de</strong> la pensée<br />

et <strong>de</strong>s sentiments. L’action du roman en pâtit souvent : l’auteur la ralentit ou la<br />

suspend en fonction <strong>de</strong>s nécessités <strong>de</strong> l’introspection. <strong>La</strong> stéréotypie <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong><br />

est compensée par la rapidité du déroulement <strong>de</strong> l’action, par la variété<br />

quasi intarissable <strong>de</strong>s anecdotes ; les longueurs du roman sont le prix à payer<br />

pour le surgissement, comme d’une anamorphose, d’un nouveau personnage.<br />

CONCLUSIONS<br />

Des enjeux, <strong>de</strong>s intérêts et <strong>de</strong>s poétiques différentes semblent régir l’écriture <strong>de</strong><br />

la <strong>nouvelle</strong> et du roman au XVIII e siècle. Formes concurrentes dans le cadre d’une<br />

littérature fidèle au principe horatien, les <strong>de</strong>ux genres en prose inventent chacun<br />

leur conformité apparente <strong>aux</strong> exigences traditionnelles et leur stratégie <strong>de</strong> création<br />

<strong>de</strong> la nouveauté. Si le roman cache son intérêt pour l’individu, pour l’unicité<br />

d’un être, sous le masque d’une tentative d’inventaire et <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s mœurs

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