Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
au point de vue de l’institutionnalisation de la psychologie comme science autonome 96 . Grâce
à eux, elle a pu acquérir progressivement son autonomie vis-à-vis de la double tutelle de la
psychologie et de la médecine. Beaunis, médecin et physiologiste à la faculté de médecine de
Nancy, s’était illustré par des travaux de psychologie physiologique des sensations sur
l’hypnotisme menés entre 1870 et 1880. Peu de temps après la nomination de Ribot au
Collège de France, Beaunis sollicite l’appui de ce dernier auprès de Louis Liard en vue de
créer un « laboratoire de psychologie physiologique ». Celui-ci est créé en 1889, et rattaché à
l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Ce laboratoire de psychologie – le premier en
France – eut par la suite une grande importance ; des psychologues de renom comme Alfred
Binet (qui prend la direction du laboratoire en 1894), Victor Henri (1872-1940) ou Jean-
Philippe (1862-1931) y effectuèrent de nombreuses recherches sur les temps de réaction, la
mémoire ou les sensations visuelles et auditives. Toutefois, bien que situé dans les locaux de
la Sorbonne, ce laboratoire reste en marge de l’Université et les philosophes universitaires de
l’ancienne école continuent à s’opposer fermement à l’enseignement de la « psychologie
nouvelle » au sein de l’université.
Cette position marginale de la psychologie pesa sans aucun doute sur le destin de la
discipline, puisque jusqu’à l’entre-deux guerres, comme nous le verrons, la psychologie n’eut
pas véritablement droit de cité dans l’université. Cela fut particulièrement vrai de la
psychologie du travail qui ne parvint à s’établir qu’à sa périphérie : au CNAM en 1928
(Conservatoire des Arts et Métiers), à l’INOP en 1928 (Institution National d’Orientation
Professionnelle) et à l’Institut de psychologie (Sorbonne) en 1922.
d) Les débuts de la psychologie appliquée aux Etats-Unis
A la différence de la France ou de l’Allemagne, la psychologie scientifique voit le
jour aux Etats-Unis sur un terrain académique pratiquement vierge. Les figures du médecin,
du physiologiste ou du philosophe ne viennent donc pas compromettre le développement
d’une discipline qui semble dès le départ étroitement liée aux méthodes du laboratoire et donc
aux progrès de la science. On peut difficilement évoquer la naissance de la psychologie
96 Nous n’évoquerons pas ici le rôle joué par Jean-Martin Charcot (1825-1893) dans l’institutionnalisation de la
psychologie en France, puisque ses travaux concernent principalement la psychologie pathologique (hypnotisme,
hystérie, aliénation mentale), et que cette branche de la psychologie n’a trouvé qu’un écho limité dans les
recherches de psychologie du travail. La double influence de Charcot (médecin aliéniste) et de Ribot
(philosophe) donne naissance à des secteurs de la psychologie assez nettement différenciés (la psychopathologie
d’un côté, la psychologie expérimentale de l’autre) ce qui montre bien qu’il n’y a pas eu en France d’
« hybridation de rôle » semblable à celle qui a vu le jour en Allemagne. On peut peut-être voir dans ce "double
héritage" de la psychologie française (médecine et psychologie) l’une des raisons des divisions durables entre les
applications médicales de la psychologie et les applications sociales.
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