Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

diffusion de ce modèle corporatif à des catégories de plus en plus grandes d’activités, entre le
quinzième et le dix-huitième siècle, qui aurait entraîné la neutralisation et la banalisation
progressive du terme. Le recours à la notion de « profession » dans les procédures
d’enregistrement administratif mises en place par les bureaucraties d’Etat à partir du dixhuitième
siècle aurait parachevé la généralisation de son usage (Desrosières, 1993), sans que
disparaisse pour autant totalement la distinction sémantique entre « professions » et
« métiers », comme le note bien Edmond Goblot dans La barrière et le niveau (1925) :
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
« Ce sont les classes qui groupent les professions et les séparent. La langue
enregistre cette séparation : les fonctions exercées par des artisans ne s'appellent pas
des professions, mais des métiers. La nuance subsiste même quand on intervertit les
termes. Si, au lieu de dire d'un médecin ou d'un avocat qu'il est savant, ou habile, on
dit qu'il sait son métier,c'est à dessein, pour signifier qu'on le juge en dehors de toute
considération de classe et qu'on ne considère dans l'homme que le travailleur qui
travaille bien. Si les écoles où l'on apprend un métier s'appellent écoles
professionnelles plutôt qu'écoles d'apprentissage, c'est qu'on a voulu, en les créant,
leur donner une désignation qui les relève. Dans ces interversions de termes, il y a
une pointe d'esprit démocratique en même temps qu'une reconnaissance implicite de
l'inégalité sociale »
Les Etats-Unis présentent de ce point de vue un net contraste avec la France et la
plupart des pays européens. Outre-atlantique, l’usage du terme de profession tel que nous le
connaissons aujourd’hui s’est généralisé dans la seconde moitié du XIX e siècle, en lien avec
la montée d’une nouvelle classe moyenne qui cherchait à puiser sa légitimité dans les idéaux
de méritocratie, d’universalisme et d’efficience portés par la science et un système
universitaire en profond changement. Dans son ouvrage sur la culture du professionnalisme et
la classe moyenne américaine Bledstein (1976), caractérise ce modèle comme un mouvement
culturel porté par une classe moyenne en voie d’ascension sociale rapide. Cette nouvelle
classe moyenne, composée de médecins, de journalistes, de travailleurs sociaux, d’avocats,
d’enseignants, trouve un appui et une source de légitimité dans les universités, qui
s’établissent aux Etats-Unis dans les années 1880 sur le modèle des universités allemandes.
Jusqu’aux années 1870 en effet, l’enseignement supérieur était principalement dispensé au
sein de Colleges comprenant en moyenne une demi-douzaine d’enseignants, pasteurs pour la
plupart 37 . Les programmes, tournés vers l’étude des langues anciennes, de la philosophie et de
la théologie, visaient surtout à inculquer aux jeunes gens des valeurs morales et un certain
esprit de discipline (Geiger, 1986). Face à ces Colleges, un modèle éducatif alternatif se
développe au sein de nouvelles universités, pour la plupart entre les mains d’une nouvelle
37 Selon les historiens de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis HOFSTADTER et METZGER (1955, p. 211), il y
avait en 1861 182 Colleges aux Etats-Unis. L’effectif moyen du personnel enseignant était de 6 personnes, dont
90% appartenaient au clergé.
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